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Le chômage pénalise plus les seniors. Un bon réseau social peut-il compenser ce désavantage?

Deux thèses réalisées à l’Université de Lausanne dans le cadre d’un projet LIVES viennent coup sur coup de produire des résultats intéressants concernant le marché du travail suisse. Isabel Baumann montre que les plus de 55 ans ont moins de perspectives que les jeunes dans leur recherche d’emploi. Nicolas Turtschi observe l’impact du réseau sur les chances de réinsertion professionnelle: si les relations personnelles s’avèrent utiles pour diminuer le handicap de l’âge, elles restent impuissantes à réduire le poids d’autres types d’inégalités.

Sur la base d’échantillons de chômeurs constitués dans le cadre de l’IP204 du Pôle de recherche national LIVES, Isabel Baumann et Nicolas Turtschi ont défendu en juin 2015 avec succès leur travail de doctorat, qui documente chacun à sa manière les voies permettant – ou pas – de sortir du chômage.

Contrairement à ce qu’on observe ailleurs en Europe, les jeunes et les personnes peu qualifiées risquent peu en Suisse de s’enliser dans le chômage de longue durée suite à une fermeture d’entreprise. Telle est une des conclusions d’Isabel Baumann, qui a étudié les parcours d’environ 1200 personnes licenciées collectivement entre 2009 et 2010 par cinq entreprises industrielles ayant fermé leurs portes dans différentes régions de Suisse.

Deux ans après la perte de leur emploi, deux tiers des personnes licenciées avaient retrouvé du travail, dont la moitié en moins de six mois, un tiers avec une augmentation de salaire et la plupart dans le même domaine d’activité. Les personnes avec un faible niveau de formation n’ont pas été massivement poussées vers des emplois de service comme le nettoyage ou la restauration rapide. Le secteur de la manufacture reste donc pourvoyeur de travail en Suisse.

Les plus vulnérables sont les personnes âgées de plus de 55 ans: ce sont les plus nombreuses à ne pas avoir retrouvé d’emploi, ou à en avoir accepté un de moins bonne qualité, moins bien rémunéré, après avoir connu une plus longue durée de chômage que les jeunes et les non qualifiés.

Pour les personnes restées sur le carreau, les répercussions négatives sur le bien-être et la sociabilité ont été importantes. Seuls les seniors ayant eu la possibilité de prendre une retraite anticipée ont finalement vécu cette transition de manière positive. 32% des plus de 55 ans ont eu accès à cette solution, alors que 37% étaient toujours au chômage fin 2011 et 31% seulement avaient retrouvé du travail, à des conditions souvent plus défavorables.

Phénomène potentiellement croissant

«Ce résultat est frappant dans le contexte du développement démographique actuel», s’inquiète Isabel Baumann. Avec l’arrivée de la génération des baby-boomers dans cette tranche d’âge, le phénomène du chômage des seniors pourrait concerner un nombre croissant de personnes au cours des quinze prochaines années.

La jeune chercheuse plaide donc pour le renforcement des mesures de formation continue. Car le système d’apprentissage, qui améliore en Suisse l’employabilité des jeunes au départ, risque de désavantager trente ans plus tard ceux qui n’ont pas suivi les progrès de la technologie.

A plus court terme, elle recommande un meilleur soutien à la recherche d’emploi pour les seniors licenciés. Faciliter les retraites anticipées lui paraît également être une piste à envisager.

Sa thèse, dirigée par le Prof. Daniel Oesch, a été acceptée pour publication dans la série Springer Life Course Research and Social Policies, dont ce sera la première monographie publiée et qui bénéficiera d’un accès gratuit en ligne à l’automne 2016.

Effet compensateur du réseau

Toujours dans le cadre de l’IP204 mais sous la direction du Prof. Giuliano Bonoli à l'Institut de hautes études en administration publique, Nicolas Turtschi a eu accès à un autre échantillon de chômeurs, plus varié en terme de profils mais limité au canton de Vaud.

De février à avril 2012, toutes les personnes qui assistaient à la séance d’information collective sur l’assurance chômage, organisée par les Offices régionaux de placement, ont été sollicitées pour remplir un questionnaire sur les réseaux sociaux et l’accès à l’emploi. Les personnes qui ont trouvé du travail dans les douze mois ont reçu un deuxième questionnaire. Celles qui étaient encore au chômage après un an ont également été interrogées avec un troisième type de questionnaire. Environ 3500 personnes ont ainsi participé à l’étude.

Nicolas Turtschi montre que certaines sous-populations a priori défavorisées, telles que les personnes de cinquante ans et plus, bénéficient d’un «effet compensateur» grâce à leur réseau. Mais il observe surtout que «les profils les plus avantagés ont statistiquement des ressources sociales plus intéressantes». En clair, les personnes d’origine étrangère et celles dont le niveau de formation est le plus bas possèdent moins de contacts utiles pour retrouver du travail. Parmi ces relations les plus précieuses, les anciens collègues devancent de loin la famille et les proches. Le fait d’être membre d’une association ne semble avoir aucun effet sur la prise d’emploi, un constat que dresse également l’autre recherche précitée.

Déculpabiliser les chômeurs

«Les réseaux sociaux amplifient les inégalités de réinsertion», conclut le chercheur, appelant à des actions ciblées sur les profils les moins favorisés pour les aider à identifier et mobiliser leurs contacts. Il recommande également de «déculpabiliser» les chômeurs, afin que la honte ne coupe pas les personnes concernées de leur entourage.

Enfin il se pose la question de la qualité de l’emploi retrouvé grâce au réseau, qui mériterait selon lui davantage de recherche et à laquelle répond déjà partiellement Isabel Baumann : dans son échantillon de travailleurs du secteur de l’industrie, les personnes ayant obtenu un nouveau travail à travers un contact personnel ont perdu en moyenne 6% de revenu, comparé au salaire antérieur, contre 2% seulement pour les autres.

Cela relativise quelque peu l’importance du réseau, dont il ne faut pas négliger non plus, dans certains cas, la «capacité de nuisance», relève par ailleurs Nicolas Turtschi dans une réflexion toute en nuances, invitant les recherches ultérieures à mieux appréhender la complexité du réseau social et son influence sur les valeurs, perceptions et idées des individus.

Dans une conclusion très métaphorique, il termine en suggérant qu’en tant que source d’information, le réseau pourrait être assimilé à un sens, au même titre que la vue ou l’ouïe. Un «sens social» en quelque sorte, «plus ou moins développé, plus ou moins efficace». Le seul finalement qui pourrait aller croissant avec l’âge!

Quant à l’avenir de nos deux jeunes docteurs, nul ne sera surpris qu’ils ne connaissent pas les affres du chômage: la première poursuivra sa carrière au Centre de recherche des sciences de la santé à la Haute Ecole Spécialisé de Zurich  et le second à la Haute École de la Santé du Canton de Vaud.

 

» Baumann, Isabel (2015). Labor market experience and well-being after firm closure: Survey evidence on displaced manufacturing workers in Switzerland. Sous la direction de Daniel Oesch. Université de Lausanne.

» Turtschi, Nicolas (2015). Les réseaux sociaux: un outil de réinsertion pour les chômeurs désavantagés. Sous la direction de Giuliano Bonoli. Université de Lausanne