Les Assises de la famille au chevet des proches aidants, parents pauvres de la politique sociale
La troisième édition des Assises genevoises de la famille a eu lieu le 5 juin 2018 à l’Université de Genève. Organisée par l’association Avenir Famille avec le soutien de l’Observatoire des familles et du Pôle de recherche national LIVES, cette journée de conférences et ateliers a permis de prendre la mesure des problèmes et attentes des proches aidants, qui peinent à obtenir appui et reconnaissance institutionnels mais sans qui le système de santé suisse serait totalement submergé.
Environ une personne adulte sur dix en Suisse consacre du temps chaque semaine à soutenir un proche malade ou âgé. Sans cette aide, il en coûterait 3.5 milliards de francs à la collectivité. Et les besoins vont aller en augmentant avec le vieillissement de la population. On s’attend par exemple à voir doubler les cas d’Alzheimer au cours des vingt prochaines années. Et le personnel soignant manque déjà, forçant les institutions à recruter à l’étranger.
Dans ce contexte potentiellement explosif, les Assises de la famille ont réuni une cinquantaine de participants le 5 juin à Uni Mail, permettant d’aborder les dynamiques familiales complexes et parfois tendues dans lesquelles s’insèrent les proches aidants, ainsi que la nécessité de hisser leurs problématiques dans l’agenda politique.
Une place toujours plus importante
« Les proches aidants vont être amenés à occuper une place toujours plus importante dans la prise en charge des personnes les plus vulnérables. Ils sont un acteur désormais indispensable à notre cohésion sociale », a déclaré le conseiller d’Etat Mauro Poggia lors de son allocution d’ouverture. Pourtant le magistrat a reconnu dans le même temps les difficultés, tant au niveau fédéral que cantonal, d’instaurer un véritable soutien institutionnel aux proches aidants.
Evoquée par un plan d’action de la Confédération en 20141, « la possibilité d’introduire un congé pour tâches d’assistance, avec ou sans maintien du salaire, ou d’autres formes de soutien pour des absences de longue durée dues à la prise en charge d’un proche malade » est par exemple toujours à l’examen. A l’échelon genevois, le Programme de soutien aux proches aidants 2017-2019 promet lui aussi « d’évaluer la faisabilité d’une allocation directe ».
En attendant, le canton a mis en place la ligne de téléphone Proch’Info (058 317 7000) et une page internet avec quelques informations, promettant de réfléchir comment « étoffer l’offre de répit » (www.ge.ch/dossier/ge-suis-proche-aidant).
Car en effet, sans même espérer une quelconque rémunération, les proches aidants sont soumis un stress familial et social très important, et voudraient pouvoir souffler un peu de temps en temps. C’est ce qui est ressorti des différentes présentations et des débats lors de la journée du 5 juin.
Epuisement et emprisonnement
Séphanie Pin, aujourd’hui cheffe d’unité à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV, a présenté les résultats de l’étude AGEneva Care menée en 2015 sur mandat de l’IMAD dans le cadre du PRN LIVES. Portant sur près de 300 proches aidants, la plupart impliqués auprès de personnes âgées de leur entourage, cette recherche a montré que deux tiers des répondants souffrent d’épuisement et que la moitié n’a personne d’autre sur qui se décharger.
Les conjoints et les conjointes, qui représentent 37% des proches aidants enquêtés, souffrent en particulier d’un sentiment d’emprisonnement. Les enfants quant à eux - totalisant plus de la moitié des proches aidants, en grande majorité des femmes - effectuent en moyenne 25 heures par semaine de services très divers et parfois lourds à assumer, 59% d’entre eux étant en outre aussi actifs ou actives professionnellement.
Si l’ensemble des proches aidants de l’étude genevoise déclarent entretenir une bonne relation avec le proche aidé, on constate cependant une diminution significative de leur satisfaction de vie à mesure que le nombre d’heures dédiées à leur proche augmente. Le besoin d’être remplacé ou de faire une pause sont les problèmes les plus cités par la grande majorité des répondants. Par contre, moins de 15% des proches aidant interrogés déclarent souffrir de difficultés financières.
Une recherche complémentaire en trois volets de l’Observatoire des familles à l’Université de Genève, également présentée lors des Assises, a permis d’enrichir le tableau.
Aide familiale relationnelle et pratique
Pour la partie quantitative, les analyses faites par Olga Ganjour et Eric Widmer sur la base des données de l’enquête VLV, portant notamment sur 700 retraité·e·s à Genève, ont comparé les aides familiales apportées par les proches aidants avec les aides formelles fournies par des tiers institutionnels ou privés.
On constate que les familles sont surtout spécialisées dans l’aide relationnelle, pour assurer une présence ou emmener la personne âgée en promenade. Mais une minorité tout de même significative de proches aidants assument également d’autres tâches, telles que faire les courses, entretenir la maison ou le jardin, cuisiner ou gérer des aspects administratifs.
Cette aide familiale pratique génère bien davantage de tensions dans la famille que la seule aide relationnelle. Une observation confirmée par le volet qualitatif, conduit par Myriam Girardin. Selon la chercheuse, « l’aide conjugale va plus ou moins de soi, mais quand elle provient des enfants, c’est plus compliqué, car ils ont d’autres obligations professionnelles, familiales et sociales ».
Tensions au sein de la famille
Ses entretiens avec des proches aidants de la génération suivant celle du proche aidé ont montré que les tensions apparaissent souvent entre le proche aidant et d’autres membres de sa famille, comme son conjoint ou sa conjointe, ses frères et sœurs, ou encore ses propres enfants, du fait des conflits de priorité.
« On ne partage plus grand-chose ensemble », a ainsi témoigné une proche aidante en parlant de sa fille de 12 ans. « Le soir je suis tellement épuisée (…), elle ne se sent pas assez aimée, pas assez écoutée, je n’ai pas la patience pour prendre sur moi comme une maman devrait faire ».
Cet épuisement conduit nombre de proches aidants à s’isoler socialement et fragilise leur propre santé. Il arrive alors que certains craquent et doivent se tourner dans l’urgence vers les services formels payants, comme l’ont évoqué des professionnels de l’aide interrogés en amont des Assises et dont les propos ont été rapportés par Marie-Eve Zufferey-Bersier, collaboratrice scientifique de l’Observatoire et cheville ouvrière de l’association Avenir Famille.
Un statut pour les proches aidants ?
Les ateliers de l’après-midi ont permis de réfléchir plus en détail à la répartition des rôles entre familles et institutions, aux besoins de soutien des proches aidants, à leur connaissance du réseau existant et leur accès à ces services, et enfin à la question du statut de proche aidant, réclamé par beaucoup.
Ce statut permettrait un meilleur accès, selon les participants des Assises de la famille, à des droits comme la formation et l’information, ainsi qu’à des aides matérielles et humaines afin de leur offrir du répit.
« L’autonomie est une norme sociale si forte dans notre société qu’elle empêche souvent les proches aidants et les proches aidés de reconnaître leurs besoins », a souligné Claudine Burton-Jeangros, professeure de sociologie de la santé à l’Université de Genève, en résumant les discussions de son atelier. « Il manque encore un débat public sur ce qui est légitime d’attendre de chacun », a-t-elle ajouté.
Le challenge des relations intergénérationnelles
Les recherches de l’Observatoire de la famille montrent en tout cas que la société suisse ne peut pas tout attendre des proches aidants. Comme l’a remarqué le Prof. Eric Widmer, « la famille n’est pas un dû, un automatisme, et le sera sans doute encore moins dans l’avenir. C’est un construit personnel qui se développe dans le parcours de vie de chacun. Si les proches aidants sont la solution d’avenir, alors nous avons meilleur temps de réfléchir concrètement à comment soutenir les familles impliquées dans le processus. C’est un challenge énorme du point de vue des relations intergénérationnelles. »