Pour leur première édition, les Assises genevoises de la famille ont réuni le 31 mai à Uni Mail quelque 90 participants issus des milieux associatifs, étatiques, économiques et académiques sur le thème de la prise en charge extrascolaire et extrafamiliale des enfants de 4 à 18 ans. L’événement, appelé à se répéter à intervalles régulières, a été initié et organisé par Avenir Famille, association créée il y a moins d’une année et regroupant déjà une quarantaine de partenaires. Elle comprend un volet recherche sis au Département de sociologie de l’Université de Genève sous la direction du Professeur Eric Widmer, co-directeur du Pôle de recherche national LIVES.
La matinée a été consacrée à trois conférences plénières impliquant six orateurs. Gianluigi Giacomel et Antonio Martin Diaz, actuellement chargés de recherche à l'Université de Lausanne, ont présenté les résultats de l’étude Prise en charge extrascolaire et extrafamiliale des enfants genevois, réalisée en 2013-2014 sur mandat de la Ville de Genève auprès de 1700 ménages. On y apprend par exemple que 60% des élèves genevois utilisent les restaurants scolaires et 40% les activités parascolaires en fin d’après-midi. Près d’un enfant sur deux est régulièrement gardé par un membre de la famille élargie, surtout les mercredis après-midi. Pendant les vacances, 7% des enfants ne partent pas du tout, et l’on constate que les activités encadrées à la journée ont largement supplanté les colonies de vacances.
Le Prof. Widmer a ensuite livré une analyse de ces résultats à la lumière du profil sociodémographique des parents. Il a constaté que les bas revenus sont associés à une moindre mobilisation du parascolaire, des activités extrascolaires et de la famille élargie, ce qui pose la question de l’encadrement de ces enfants, « davantage laissés à eux-mêmes dans les milieux où les ressources économiques, culturelles et sociales sont les plus faibles (…) alors qu’ils devraient être plus entourés pour compenser les désavantages sociaux ». Selon le chercheur, les familles migrantes souffrent particulièrement de cette « cumulativité des manques », résultant en une certaine « timidité sociale ». Il a conclu en déclarant qu’il ne fallait pas forcément augmenter l’offre, mais peut-être réfléchir à la présenter ou la structurer de manière différente, faisant appel à « l’intelligence collective » des participants aux Assises.
Flexibilité contre sécurité
Les deux conférences qui ont suivi, ainsi que les ateliers dans l’après-midi, ont ensuite à plusieurs reprises donné à réfléchir sur deux tendances actuelles de la société, flexibilisation et sécurisation, dont les impératifs s’avèrent parfois difficiles à concilier.
La sociologue Marie-Agnès Barrère-Maurisson, chercheuse au CNRS et spécialiste des relations entre famille et emploi, a distingué trois étapes au cours des cinquante dernières années en France : le familialisme des années 60 et 70, avec une division très genrée des rôles paternel et maternel, suivi dans les années 80 par une phase de féminisme, où la place des mères dans le monde du travail a été facilitée, pour arriver à partir des années 1990-2000 à une ère de « parentalisme », où l’enfant est au centre, quelle que soit la nature des relations conjugales entre les parents. « Ce qui fait famille aujourd’hui, c’est l’enfant et non plus le couple ; c’est le seul élément fixe dans une myriade de parentalités », a décrit la chercheuse, appelant à « repenser l’organisation du travail pour passer d’une culture de la présence à une culture de la performance, c’est-à-dire flexibiliser le temps de travail au maximum, aussi pour les hommes », dont l’implication croissante auprès des enfants a été saluée.
Cette promotion de la flexibilité n’a pas manque de faire réagir le public. « Je suis choquée car en ce qui me concerne, j’effectue 60% de présence pour 100% de performance », a relevé une participante. Plusieurs personnes ont ensuite souligné qu’il fallait bien entendu distinguer la flexibilité choisie de la flexibilité subie.
Ce thème a été parfaitement illustré lors de la conférence suivante, donnée par René Clarisse et Nadine Le Floc’h, psychologues et maîtres de conférence à l’Université de Tours. Spécialistes de la chronopsychologie, ils ont montré l’importance de respecter les rythmes journaliers, hebdomadaires et annuels de l’enfant, donnant plusieurs informations sur les pics et les baisses d’attention selon les heures et les saisons. Ils ont également livré des données intéressantes sur les besoins des plus petits en terme de « temps parental », ou autrement dit de « niche sécure », mettant en garde contre l’imprévisibilité des horaires et le travail de weekend côté parents, deux sources de stress pour les enfants ayant des conséquences sur leur niveau d’attention et donc d’apprentissage.
Le point de vue des acteurs
Les cinq ateliers de l’après-midi ont permis de faire un état des lieux et de discuter des structures de prise en charge du point de vue de différents acteurs : écoles publiques ou privées, associations extrascolaires, entreprises, associations familiale, institutions publiques. La tension entre besoin de flexibilité et besoin de sécurité y est fortement ressortie.
D’un côté, les acteurs réclament plus de flexibilité pour ouvrir des crèches, créer de nouvelles activités para ou extrascolaires, étendre les horaires de prise en charge des enfants, permettre des horaires de travail à carte pour les parents... Mais ces exigences se heurtent également à une autre tendance forte de la société vers plus de sécurité : exigences légales et règlementaires toujours plus contraignantes, anxiété des parents face aux accidents et aux performances scolaires et sportives des enfants, manque de tolérance pour les activités collectives bruyantes des jeunes, stigmatisation de certains milieux moins favorisés : « On est dans une société où il n’est plus concevable qu’un enfant aille tout seul sur un terrain de foot », a-t-on entendu pendant l’après-midi.
L’atelier dédié aux institutions publiques a également permis de prendre la mesure de certains cas lourds nécessitant l’intervention des services spécialisés. Il y a beaucoup été question des jeunes en rupture et du besoin d’améliorer la prévention, vue comme un investissement social, mais aussi de renforcer le dialogue avec les parents, la proximité et le travail en réseau, et de tenter de nouvelles manières de communiquer.
Un livre blanc des Assises de la famille reprendra tous ces thèmes en les développant. Un petit pas important pour la famille se transformera peut-être à Genève en un grand pas pour la société !