Photo © Annick Ramp / Biel/Bienne Festival of Photography / NCCR LIVES

Montrer et débattre de la vulnérabilité en Suisse, c’est aussi voir comment la surmonter

Le Pôle de recherche national LIVES a soutenu pendant six mois le travail de trois jeunes photographes, à découvrir aux prochaines Journées photographiques de Bienne du 29 avril au 22 mai 2016. Une publication intitulée Downs and Ups. Regards sur la vulnérabilité et la résilience réunit une partie de ces images et décrit en trois chapitres des questions qui sont au centre de la recherche sur les parcours de vie. Le festival sera également l’occasion d’une table ronde le 13 mai au Palais des Congrès de Bienne sur le thème « In/Visibilité : la vulnérabilité en Suisse - faux problème ou vrai tabou ? »

Mi-2015 trois jeunes femmes ont remporté un concours sur invitation lancé par le Pôle de recherche national LIVES et les Journées photographiques de Bienne : il s’agissait de proposer un projet autour des notions de vulnérabilité et de résilience. Les artistes avaient ensuite de juillet à décembre pour réaliser leurs images. L’aventure atteint maintenant son apogée avec l’exposition de ces trois séries dans le cadre du festival qui ouvre ses portes le 29 avril. Mais l’aventure ne s’éteindra pas après la fin de l’événement le 22 mai, car un livre reprend une sélection de ces photographies, accompagnées de textes expliquant au grand public l’approche scientifique des parcours de vie.

Les projets photographiques

Simone Haug a travaillé sur des acrobates à la retraite – d’anciens nomades ayant dû se résoudre à la sédentarité, artistes totaux redevenus anonymes, ex-gymnastes devant composer avec un corps en déclin. Dans la publication Downs and Ups, c’est l’occasion pour la Prof. Laura Bernardi d’expliquer comment les multiples fils qui tissent de nos vies sont interconnectés, pouvant générer du stress ou au contraire fournir des ressources compensatoires. Trajectoires familiales, professionnelles, résidentielles et de santé se superposent et entrent parfois en conflit, mais peuvent aussi être sources de solutions l’une par rapport à l’autre. Le filet de sécurité n’est pas toujours là où on l’attend.

Delphine Schacher s’est intéressée aux habitant du Bois des Frères, un lotissement de cabanons en bois aux confins de Genève, réveillant les souvenirs d’enfance du Prof. Dario Spini. Fils d’immigrés devenu directeur du PRN LIVES, il contemple avec ses yeux d’adulte et de chercheur les différents niveaux dans lesquels s’inscrivent ces parcours de vie – une observation partant du corps physique pour aboutir aux normes sociales qui nous régissent tous. Précarité, marginalité, débrouillardise et espoir s’entrechoquent dans l’environnement à la fois rude et fraternel des hommes photographiés, et dans l’analyse du professeur.

Annick Ramp a suivi les pas d’une personne transgenre, Sandra, dont elle donne à voir les fragilités et les forces héritées d’un destin hors du commun, jalonné de souffrances, de combats et de victoires. C’est l’occasion, dans les pages du livre, de comprendre l’importance d’observer les parcours de vie dans le temps. L’attention est portée sur l’accumulation des désavantages et sur la manière dont les individus construisent leur propre narration, forgeant ainsi leur identité au gré d’étapes et de transitions décisives.

Stress et ressources

La recherche sur les parcours de vie est encore mal connue du grand public. Elle bénéficie en Suisse du soutien de la Confédération, qui lui a octroyé un Pôle de recherche national financé pour douze ans par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Cela permet depuis 2011 à environ 150 chercheurs et chercheuses en sciences sociales d’une dizaine d’universités et hautes écoles de conduire plusieurs études longitudinales focalisées sur la vulnérabilité, définie comme un manque de ressources (pouvant être psychologiques, physiologiques, sociales, économiques, culturelles, institutionnelles) face à des événements ou phases stressantes de la vie (divorce, chômage, migration, vieillesse, deuil, etc.).

Dans cette perspective, chacun peut être concerné et touché un jour par la vulnérabilité. Et comme il s’agit d’un phénomène dynamique, il n’est pas possible de concevoir la vulnérabilité sans son pendant, la résilience, dont il s’agit de comprendre les ressorts. L’étude des parcours de vie montre en effet que si les individus sont marqués par leur contexte social et historique, ils jouissent également d’une certaine capacité d’agir et ne cessent de se développer tout au long de leur vie.

Toucher le grand public

Une partie du financement du PRN LIVES est également destinée à des projets de transfert de connaissances au grand public, raison de cette collaboration avec les Journées photographiques de Bienne. L’objectif est d’abord d’utiliser un langage accessible à tous, l’image, pour aborder des questions essentielles mais souvent négligées. Le fait d’offrir un tremplin à de jeunes photographes est une autre motivation pour un centre de recherche dont plusieurs articles scientifiques ont déjà porté sur les professions atypiques ou l’insertion professionnelle des jeunes.

En plus des trois accrochages et de la publication, et afin de permettre le débat avec le public, une table ronde aura lieu le 13 mai au Palais des Congrès de Bienne sur la question de la visibilité ou de l’invisibilité de la vulnérabilité en Suisse. La montre-t-on trop ou pas assez ? Où se trouve-t-elle ? Comment lui faire face ? Animée par le journaliste Dominique Antenen, elle réunira Felix Bühlmann, sociologue au PRN LIVES, Jérôme Cosandey, d’Avenir Suisse, Eric Fehr, maire de Bienne, Thérèse Frösch, co-présidente de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), et Delphine Schacher, photographe.

Dans une ville située au carrefour des cultures francophone et germanophone, où le taux d’aide sociale est un des plus hauts de Suisse, cette série d’événements à Bienne promet une réflexion nationale intéressante.

>> Expositions : Simone Haug : Acrobates !. Delphine Schacher : Bois des Frères. Annick Ramp : Sandra - Ich bin eben doch eine Frau. Du 29 avril au 22 mai 2016, PhotoforumPasquArt, Bienne.

>> Hélène Joye-Cagnard et Emmanuelle Marendaz Colle (éd.). (2016). Downs and Ups. Regards sur la vulnérabilité et la résilience. Gent : Snoeck Publishers. 108 p. (trilingue F/D/E). Pour le commander : office@jouph.ch.

>> Table ronde In/Visibilité : la vulnérabilité en Suisse - faux problème ou vrai tabou ? Le 13 mai à 18h15, Palais des Congrès de Bienne (traduction simultanée français/allemand).

>> Visite : Parcours de vie par Dario Spini, directeur du PRN LIVES. Visite commentée des expositions de Simone Haug, Annick Ramp et Delphine Schacher, le 14 mai de 16h à 17h30.

>> Programme complet des Journées photographiques de Bienne sur http://www.bielerfototage..ch/fr.

© Simone Haug: self-portrait

Simone Haug : « Je suis fascinée par le potentiel de surréalisme dans le réel »

La photographe bernoise a réalisé un travail de haute précision avec cinq artistes de cirque à la retraite pour illustrer la vulnérabilité et la résilience, thèmes du projet de collaboration entre le Pôle de recherche national LIVES et les Journées photographiques de Bienne. Ses images poétiques sont au cœur d’une exposition et d’un livre à découvrir très prochainement.

Toute en finesse et en délicatesse, Simone Haug ressemble à ses photographies. Elle paraît effleurer les choses, mais les cerne et les souligne avec une justesse rare, soutenue par un regard plein d’espièglerie. Son dernier travail, intitulé Acrobates !, sera exposé lors des Journées photographiques de Bienne du 29 avril au 22 mai 2016. Il a été réalisé dans le cadre d’un mandat lancé par le PRN LIVES et sera également visible dans l’ouvrage Downs and Ups qui accompagne l’exposition.

Bienne est sa ville d’adoption : « J’ai toujours aimé son atmosphère décontractée. Quand j’étais encore à l’école, à Berne, je prenais le train en secret pour Bienne et venais m’installer dans un café près de la gare. C’est une ville de possibilités, à l’esprit sincère, chaleureux et ouvert. C’est quelque chose que je ressens très fort quand je me promène ici - une culture au quotidien. Même les caissières dans les supermarchés sont différentes à Bienne par rapport à Berne, où il y a plus d’étiquettes, le poids de la culture officielle. Ici c’est plus informel et direct. »

C’est dire si elle connaît déjà le festival dédié à la photographie qui est organisé chaque année à Bienne depuis vingt ans. Elle y avait d’ailleurs déjà exposé avec une amie, en 2006, une série intitulée Asile entre lieux et temps. Mais elle est encore loin de se considérer comme une photographe établie, même si la trentenaire affirme que ça marche de mieux en mieux pour elle, car les commandes arrivent. Pour vivre, elle fait également des transcriptions d’entretiens pour des sociologues, une tâche qu’elle apprécie : « Je n’ai pas besoin de faire les analyses, mais ça me nourrit », explique-t-elle.

Son projet photographique sur les artistes de cirques à la retraite met en scène cinq personnages, dont un couple, qu’elle a approchés individuellement au cours des six derniers mois de 2015. Elle y saisit avec une grande habileté la fragilité et la force de ces seniors ayant toujours la tête dans les étoiles malgré un physique diminué. Rencontre avec l’auteure de ces images originales et sensibles.

Comment êtes-vous venue à la photographie ?

J’ai toujours aimé regarder. Dans ma famille l'image était très présente. La photographie me paraissait donc l'outil idéal pour produire des images. J'ai appris assez jeune à me servir d'un appareil photo, et cet instrument est devenu pour moi une sorte de boussole pour découvrir le monde et mon entourage. A partir de l’adolescence, cela a pris de plus en plus de place dans ma vie, et je suis entrée dans une association d’autodidactes qui avait été créée à Zurich dans les années 80. Nous invitions des photographes confirmés, mais le principe de base était l’auto-organisation. Ensuite j’ai fait des études de sociologie, mais ce qui me tenait vraiment à cœur, c’était la photo. Alors j’ai décidé de poursuivre cette voie en entrant aux Beaux-Arts à Hambourg. Je ne voulais pas faire une école de photographie au sens strict, car je voulais me protéger du formatage. J’aime être libre, et je trouvais mieux de nourrir mon développement de manière différente.

Que reste-t-il de vos études de sociologie ?

Je pense qu’inconsciemment, ça m’influence encore parfois. Cela m’a appris à considérer plusieurs points de vue, et apporté des bases théoriques. Mais ce qui me dérange dans cette discipline, ce sont les affirmations. C’est pareil en photographie : je refuse tout ce qui catégorise. Je ne me vois pas comme une documentariste qui propose un message final. Dans la sociologie, j’aimais la matière mais pas la manière. J’ai donc tenté de m’en libérer.

Qu’est-ce qu’une bonne photo selon vous ?

Pour moi c’est une image qui laisse beaucoup de liberté. Elle doit donner juste assez d’information sur le contexte pour offrir ensuite beaucoup d’espace à l’interprétation. J’aime par dessus tout le mélange et l'équilibre entre l’abstraction d’une part, et un minimum nécessaire de points de repère concrets d’autre part. Je suis fascinée par le potentiel de surréalisme dans le réel. Et je trouve que la photographie permet vraiment de montrer cela. De plus, le métier de photographe me permet de partager des choses avec les gens et de leur rendre quelque chose en retour, une forme de reconnaissance ; cela compte aussi dans mon intérêt pour l’image. Un travail qui m'impressionne, par exemple, c'est la série Libuna d’Iren Stehli, qui a suivi une femme tout au long de sa vie. C’est une des forces de la photographie : saisir la dimension du temps qui passe.

Comment avez-vous travaillé pour ce projet sur les acrobates retraités ?

J’avais déjà une fascination pour le cirque, un monde d'illusions où les limites physiques sont sans cesse dépassées, mais c’est l’appel d’offre de LIVES et des Journées photographiques de Bienne qui m’a donné l’idée de prendre contact avec d’anciens acrobates. J’adore entrer ainsi dans de nouveaux mondes, faire des rencontres. En général je ne fais pas de mises en scène. Mais pour les artistes, la scène est une habitude. Je voulais travailler avec eux, faire quelque chose ensemble. Alors les mises en scène sont venues naturellement, en discutant avec eux. Le temps pour réaliser cela n’était pas énorme, mais je suis heureuse d’avoir trouvé une forme qui convient à ces personnes et à leur situation. J’aime le côté mystérieux de ces images. Cela représente ce que les artistes de cirque aiment faire : créer du mystère pour le public. Quant à l’utilisation du noir et blanc pour plusieurs images, c’est une manière pour moi de rester dans quelque chose d’abstrait. Cela éveille l’imagination, car on est moins connecté au réel. Je trouve aussi que le noir et blanc souligne bien la notion d’équilibre qui est au cœur du sujet.

Comment décririez-vous la résilience dont font preuve vos protagonistes ?

Je vois de la résilience dans leur attitude au quotidien. Les artistes de cirque ont connu un parcours professionnel absolu, et même à la retraite ils restent des acrobates dans leur tête. Cela se voit par exemple quand il s’agit de changer une ampoule. Peu de femmes retraitées monteraient sur les épaules de leur mari pour faire ça ! Ils ont toujours envie de jouer, de se mettre en scène. Les cinq personnes que j’ai rencontrées sont toutes en paix avec leur carrière passée. Chacun a fait ce qu’il pouvait. Tous sont d’accord de dire qu’il s’agissait de trouver le bon moment pour arrêter. Chaque histoire est différente, mais tous ont dû affronter des difficultés et ont fait preuve de force pour surmonter les situations.

De quoi êtes-vous la plus fière dans ce travail sur les acrobates ?

De la projection qui sera montrée dans l’exposition pendant les Journées photographiques. J’aime l’idée de créer un petit spectacle. Il s’agit d’un montage de photos qui défilent au son d’un tambour japonais. C’est la première fois que j’expose ce type de procédé. Je l’avais déjà fait dans un autre travail, mais je ne l’ai jamais montré.

>> La page consacrée à Simone Haug sur le site du festival

 

© Delphine Schacher: self-portrait

Delphine Schacher : « Accéder à des endroits invisibles » grâce à la photographie

Auteure de la série Bois des Frères sur les habitants d’anciens cabanons d’ouvriers saisonniers dans la banlieue de Genève, la photographe vaudoise présentera ce travail dans le cadre du double projet de collaboration entre le Pôle de recherche national LIVES et les Journées photographiques de Bienne – exposition et livre.

Nichée dans un vallon à la sortie de Begnins, la maison de Delphine Schacher a appartenu à ses grands-parents et jouxte la scierie familiale. La photographe née en 1981 est une enfant de la région. Elle y a fait ses premières images, avant même d’être diplômée de l’Ecole de photographie de Vevey. En tant qu’une des trois lauréates du concours sur invitation lancé par le PRN LIVES sur le thème « Vulnérabilité et Résilience », ses photos seront exposées du 29 avril au 22 mai 2016 aux Journées photographiques de Bienne et illustrent l’ouvrage Downs and Ups lié à ce projet.

Delphine Schacher s’est fait connaître avec son travail Petite robe de fête, qui montrait de jeunes adolescentes roumaines endimanchées dans un décor champêtre : une plongée au cœur du temps, et qui le défiait, aussi, puisqu’elle était partie initialement à la recherche de personnes photographiées vingt ans plus tôt par son père lors d’un voyage marquant le jumelage de leur commune avec un village roumain. « C’était la première fois que mon père voyageait si loin, et la première fois que je l’ai vu pleurer, ému par ces gens et leurs conditions de vie difficiles », raconte celle qui se décrit ironiquement comme « une exploratrice des temps modernes, de la génération easyJet, pour qui il est si facile de sauter dans un avion ».

Pour le projet LIVES à Bienne, elle est allée promener son objectif du côté de cabanons utilisés autrefois pour loger des saisonniers, tout près de la cité du Lignon, à une encablure de l’aéroport de Cointrin. Un habitat précaire et vétuste, toujours en usage aujourd’hui, où continuent de vivre des hommes aux parcours divers, qu’elle a approchés de près et dont elle magnifie la pudeur et la dignité. Interview.

Comment êtes-vous venue à la photographie ?

Ca a commencé quand j’avais environ 20 ans. Je viens d’une famille de trois enfants, et j’étais la seule à n’avoir aucune activité artistique. Mon frère jouait de la batterie, ma sœur de la flûte, et moi j’ai surtout passé mon adolescence à faire la fête, en parallèle à un apprentissage de commerce et une maturité professionnelle. Mais je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. Je cherchais quelque chose de créatif. Alors j’ai commencé à prendre des cours du soir, d’abord de couture, puis de graphisme. Je n’ai pas eu le déclic, mais j’ai réalisé que j’aimais collectionner les photos dans les journaux.Je me suis alors inscrite à un cours de photographie dans la région, et là j’ai tout de suite croché. Nous devions faire des reportages. Ce qui me plaisait, c’était d’aller à la rencontre des gens, d’entrer dans des endroits où je n’aurais pas pu accéder sans cet alibi de la photographie. Pour mon premier travail et ma première expo dans le cadre de ce cours, le thème était « Une nuit dans la vie de … » et j’ai choisi de suivre un employé qui travaillait sur la rotative du Journal de la Côte. J’ai adoré ce sentiment de ne pas être dans mon élément et de devoir me faire ma place. En plus le rotativiste a bien reçu les photos, il était content. Alors j’ai poursuivi dans cette voie en m’inscrivant à l’association Focale, qui organise des ateliers. Là j’ai eu deux mois pour réaliser un travail sur le thème « Ombres » et j’ai eu l’opportunité de suivre des femmes en prison grâce à une animatrice socioculturelle qui avait monté un labo photo à la prison de Lonay. A nouveau j’ai aimé pouvoir accéder ainsi à des endroits invisibles.

Comment l’idée des cabanons du Lignon vous est-elle venue ?

En fait ce sujet m’habite depuis longtemps. En 2010, dans le cadre de Focale, j’ai dû réaliser un projet sur le thème « Périphérie ». Je me souvenais avoir vu un reportage à la télévision qui annonçait que les baraquements ouvriers situés à l’aéroport allaient être détruits, et j’ai appelé le syndicat Unia pour savoir s'il en existait encore d’autres. C’est là que j’ai découvert le site du Lignon. Puis, alors que j’étudiais la photographie à Vevey, je suis retournée sur place. Le lieu n’avait pas changé, mais c’était un travail vite fait et j’ai eu le sentiment d’être passée à côté du sujet. J’avais bien tiré quelques portraits, mais n’avais pas eu de discussion avec les gens. Alors que cette fois-ci, j’ai pu entrer chez eux. J’ai fait un pas de plus dans leur direction, pas seulement un pas physique, mais un pas émotionnel. J’ai osé aller plus loin, rechercher des postures. J’ai mieux réfléchi à comment les mettre en scène. Le fait d’avoir un mandat, qu’il y ait une attente, m’a aidé. La thématique « Vulnérabilité et Résilience » a aussi guidé mes choix. Je voulais montrer les hommes qui vivent dans ces cabanons, leur rendre honneur. Ce ne sont pas juste des gens qui passent.

Comment avez-vous travaillé ?

En juillet et août 2015, je suis allée en reconnaissance. Avec certains habitants, il s’agissait de retrouvailles. Puis, de septembre à décembre, je me suis rendue sur le terrain environ deux à trois fois par semaine, parfois de jour, parfois le soir. Je ne prenais pas toujours des photos, parfois il s’agissait juste de vivre des moments avec eux. J’ai voulu rendre compte du passage des saisons, mais je ne voulais pas qu’on sache en quelle année nous étions. J’aime bien qu’on ne voie pas si on est dans les années 70, 90, ou maintenant. C’est pourquoi j’ai évité de montrer des habits avec des marques ou des sacs de magasin. Ce lieu n’a pas d’âge ! J’ai aussi cherché à donner un côté pictural à certaines images, certaines attitudes… En tout j’ai réalisé 25 films en argentique. C’est une technique qui force à prendre son temps, à poser les choses.

Qu’est-ce qu’une bonne photo selon vous ?

Il faut d’abord que la lumière soit naturelle. Et il faut qu’il y ait quelque chose qui se passe, quelque chose de mystérieux ou quelque chose qui dérange. Par exemple un objet incongru ou une position fragile.

A votre avis, quelle est l’image de cette série qui montre le plus la résilience ?

J’aime bien la photo du gril à saucisses dans la cuisine commune. C’est une image qui montre des gens qui se débrouillent, qui s’accommodent de peu d’espace. Ils vivent comme les autres, mais en plus petit. Il y a aussi le portrait saisi à vif d’Augusto, qu’on voit avec sa poêle à frire et sa jolie tenue. C’est l’image d’un homme qui a su rebondir. Il semble dire : « Je n’ai pas de cuisine mais ça ne m’empêche pas de vivre normalement et de m’habiller avec une belle chemise. » Ces personnes vivent avec le minimum, mais ce n’est pas le désespoir. Je précise cependant que cet état des lieux n’est pas objectif : je n’ai pas vu tout le monde, et certains ne voulaient pas être photographiés, peut-être des gens pour qui c’est beaucoup plus dur. Mais il y a de beaux exemples de résilience. José, par exemple, qui vient du Cap-Vert : c’est un de mes chouchous, un des premiers avec qui j’avais parlé en 2010. Il savait à peine de français à l’époque, et maintenant il a trouvé du boulot. Il a un poste de responsable dans une entreprise d’échafaudages. Et pour lui, les échafaudages, c’est une passion, un véritable monde. Il me montre des photos sur son téléphone, et je peux vous dire que depuis, je ne vois plus les échafaudages de la même manière ! Enfin il y a ces images où l’on voit des chats, des oiseaux en cage. On peut y voir de l’enfermement dans l’enfermement. Mais cela montre aussi le besoin des gens de s’occuper de quelqu’un…

>> La page consacrée à Delphine Schacher sur le site du festival

© Annick Ramp: self-portrait

Annick Ramp: « J'espère que mon travail sur Sandra suscitera de l'empathie chez les gens »

Basée à Zurich, la plus jeune lauréate de la bourse photo offerte par LIVES a choisi de consacrer son travail sur la vulnérabilité et la résilience à la réalisation de portraits d'une personne transsexuelle: Sandra. Son œuvre sera exposée durant les Journées photographiques de Bienne et une sélection de ses images est publiée dans un livre.

Parmi les trois femmes ayant participé au projet du Pôle de recherche national LIVES et des Journées photographiques de Bienne, Annick Ramp est la seule âgée de moins de 30 ans. Malgré son jeune âge, sa carrière de photographe est pourtant déjà bien établie. Celle-ci franchira une nouvelle étape avec l'exposition de ses portraits de Sandra, transsexuelle, à la 20e édition des Journées photographiques de Bienne, du 29 avril au 22 mai 2016. Quelques-unes de ces photos sont aussi publiées dans l'ouvrage Downs and Ups.

Annick Ramp travaille comme photographe à mi-temps pour la Neue Zürcher Zeitung. Elle explique avoir trouvé ainsi un bon équilibre, qui lui permet de poursuivre en profondeur des travaux plus personnels. Elle habite un quartier populaire à l’ouest de la gare de Zurich, un endroit qu'elle aime pour son atmosphère multiculturelle et détendue.

Son projet sur Sandra a été sélectionné pour illustrer la vulnérabilité et la résilience, car elle possède un véritable talent pour aborder les corps et les âmes avec un profond respect. Ses photos dépeignent une personne joyeuse, avec ses côtés sombres, un personnage complexe qui, malgré les traces laissées par de longs combats, a réussi à surmonter bien des épreuves. Nous avons interrogé Annick Ramp sur son approche.

Comment en êtes-vous venue à la photo?

Après l'école, j'ai fait un apprentissage commercial, mais j'ai très vite réalisé que cela ne me satisferait pas. Je savais que je voulais faire quelque chose en rapport avec la photo, mais je ne savais pas comment m'y prendre. C'est mon père qui m'a initiée en premier à la photographie. Puis, quand j'ai eu 19 ans, j'ai fait un voyage en Nouvelle-Zélande. Mes parents y avaient vécu pendant cinq ans et je suis née à Auckland, mais ils sont partis quand j'avais huit mois. Alors j'ai voulu découvrir l'endroit, y rencontrer les gens, et c'est là que j'ai commencé à prendre des photos. Elles étaient surtout concentrées sur les lignes, les paysages, mais pas vraiment sur les gens. De retour en Suisse, je me suis inscrite à une formation préalable en art, puis j'ai quitté Schaffhouse pour Zurich, où je savais que je voulais vivre. Pendant un an, j'ai étudié différents types d'art et de communication visuelle. Après cela, je me suis inscrite à la formation diplômante «Fotodesign» à Zurich. J'ai alors eu la chance de faire un stage d'un an avec un photographe, et là j'ai trouvé ce qui m'intéressait vraiment. C'est la photographie que je pratique aujourd'hui, axée sur les gens. Une fois mes études terminées, j'ai fait un autre stage à la Neue Zürcher Zeitung, où j'ai achevé ma formation et où j'ai eu la chance d'obtenir un poste.

Que recherchez-vous lorsque vous photographiez des personnes?

J'aime montrer différentes sortes de gens, différentes versions de la vie. Lors de mon premier stage, j'ai pris des photos d'un homme excentrique qui est assez connu à Schaffhouse et qui s'appelle Heinz Möckli. Pendant deux mois, je l'ai suivi partout, et j'ai pris conscience qu'il ne s'agissait pas seulement d'un travail. C'est une activité qui m'apporte beaucoup. J'adore observer la façon dont les êtres humains vivent dans leur environnement et les multiples façons qu'ils ont de le percevoir. Ce qui m'intéresse en particulier, ce sont les gens qui ne vivent pas comme tout le monde.

Comment avez-vous rencontré Sandra?

Pour mon travail de fin d'études, j'ai fait un reportage sur un établissement spécialisé, où séjournent de manière temporaire des personnes souffrant d'addictions, de maladies mentales ou d’autres sortes de fragilité. Un soir, Sandra était présente, et je l'ai revue ensuite à l'arrêt de bus. Je l'ai trouvée fascinante. Elle paraissait fragile et forte à la fois. On voyait qu'elle avait une certaine confiance en elle. Nous avons parlé, et elle s'est mise à chanter. Elle avait l’air d’une femme, mais avec quelque chose de masculin. Elle en a parlé ouvertement, mais elle a refusé de poser devant l'objectif. Après ça je l’ai toujours gardée en tête. J'ai essayé de la contacter par Facebook, mais elle n'a pas répondu. J'ai de nouveau essayé par l'intermédiaire du leader de son groupe de musique, qui m'a suggéré de venir à une répétition le jeudi. J'y suis allée, et elle s'est souvenue de moi. Je lui ai alors proposé de faire des portraits d'elle et elle a accepté. C'est ce que j'ai fait pendant deux ou trois mois, mais je ne savais pas comment je raconterais son histoire. C'est alors que j'ai reçu l'invitation du PRN LIVES et des Journées photographiques de Bienne. Le concept était né!

Dans cette série, quelle est la photo qui incarne le mieux selon vous le thème de la résilience?

Celle avec le brouillard: ce n'était pas du tout mis en scène. C’était pendant la répétition d'une pièce de théâtre et il y avait cette machine qui crée de la vapeur. J’ai saisi Sandra alors qu’elle était à côté. Parfois elle s’égare de la réalité ; elle s'enfuit ailleurs, rêve les yeux fermés. Cette photo m'a fait prendre conscience qu’il y a quelque chose à montrer au sujet de Sandra, et aussi qu'il faut du temps pour approcher ça.

Comment avez-vous procédé avec Sandra pour ce travail?

Je ne lui ai rien imposé. Je ne lui ai jamais dit : « Fais ci ou fais ça! ». On a passé des journées entières ensemble et c’était à moi de saisir les bons moments. Le plus difficile, pour moi, ensuite, n'a pas été de faire des choix, mais de limiter la série aux meilleures prises et de leur donner un ordre. Composer une série de photos est quelque chose qui me fascine. C'est vraiment intense. Je peux passer des semaines à déplacer des photos éparpillées au sol jusqu'à ce que je décide laquelle est vraiment indispensable, lesquelles expriment ce qui est juste. C'est aussi une question de respect pour mes sujets. J'ai montré ma sélection à Sandra et elle a accepté d'être vue aussi dans ses mauvais moments. Elle est tout à fait consciente de son histoire et du fait qu'elle n'est pas toujours de très bonne humeur. Il m'importait beaucoup qu'elle accepte mes choix, mais je ne l’ai pas laissée non plus m’influencer. J'espère que mon travail sur Sandra suscitera de l'empathie chez les gens. Je trouve bizarre que la société ordonne les choses en opposant constamment le masculin et le féminin.

Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne image?

Tout d’abord il faut qu'elle me touche d’une manière ou d’une autre. J'ai besoin de sentir que le photographe l'a faite avec empathie, que le sujet n'est pas juste là pour faire une bonne image. J'aime les photos qui racontent quelque chose, qui provoquent de l’émotion et qui diffusent une part de poésie. J'aime regarder les photo en séries, parce que je trouve souvent difficile de comprendre quelque chose avec une seule image. Je pense qu’il peut y avoir plus de nuances si les photos se répondent l’une à l’autre.

>> La page consacrée à Annick Ramp sur le site du festival 

Image iStock © ra-photos

Conférence internationale LIVES - Relations en deuxième partie de vie: Défis et opportunités

La conférence aura lieu les 28 et 29 juin 2016 à l'Université de Berne. Accueillant dix présentations en anglais, dont cinq d'orateurs invités et cinq de chercheur·e·s LIVES, l'événement offrira également deux sessions poster et une table ronde. Le délai de soumission pour les posters est fixé au 6 juin.

Les relations affectives sont cruciales pour le bien-être des personnes en deuxième partie de vie. Le soutien social et le partenariat amoureux contribuent à la satisfaction de vie, ont des impacts positifs sur la santé et réduisent les effets négatifs du stress. Par contre, les relations de mauvaises qualité et l'ambivalence affective représentent des facteurs de risque, pour les couples comme pour les individus qui partagent d'autres types de liens affectifs, par exemple entre adultes et leurs parents âgés.

La rupture des relations de couple, que ce soit à travers le deuil ou le divorce, est l'un des événements les plus stressants du parcours de vie, et sa probabilité augmente dans cette partie de vie. Cela peut poser un défi important pour le bien-être psychologique, particulièrement à un stade de la vie où les ressources sociales et physiques sont déclinantes. Néanmoins, les adultes âgés présentent de grandes différences dans leur adaptation et leur manière de face face à la perte d'un partenaire.

L'objectif général de cette conférence est de combiner des lignes de recherche sur la vulnérabilité et la résilience avec des études sur l'intervention psychologique, afin d'analyser ce qui facilite ou entrave l'adaptation à la perte d'un être cher et aux défis relationnels en seconde partie de vie.

Présentations des conférenciers invités

  • Self-Concept regulation and resilience to interpersonal loss
    > Prof. Dr. Anthony MANCINI, Pace University (NY)
  • Adaptation to bereavement in late life
    > Prof. Dr Margret STROEBE, University of Utrecht
  • Making connections: loneliness interventions in later life
    > Prof. Dr. Nan STEVENS, VU University Amsterdam; Radboud University, Nijmegen
  • Social network compensation in later life: resourcefulness, resilience, and constraints
    > Prof. Dr. Karen ROOK, University of California Irvine
  • Resilience research, resilience promotion, and the role of flexibility
    > Prof. Dr. George BONANNO, Columbia University (NY)

Des membres du PRN LIVES présenteront également leurs recherches: Daniela Jopp (Université de Lausanne), Michel Oris (Université de Genève), Pasqualina Perrig-Chiello (Université de Berne), Eric Widmer (Université de Gennève) et Hansjörg Znoj (Université de Berne).

La conférence aura lieu en anglais.

Dans le cadre de cet événement se tiendra également une table ronde sur le thème de la solitude avec des représentants de groupes d'intérêt nationaux, de la politique et de la recherche, qui aborderont la question d'un angle pratique (en allemand).

  • Prix de l'inscription pour les personnes externes à LIVES: 150 CHF (repas, pause et apéritif inclus) ou 80 CHF pour un jour ainsi que pour les étudiants
  • Délai d'inscription: 20 juin 2016
  • Délai pour soumettre un poster: 6 juin 2016

Cliquer ici pour plus d'information en anglais sur la conférence, pour les inscriptions et pour proposer un poster