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Considérer la vieillesse comme une problématique sociologique et non comme un problème social

Chercheuse au PRN LIVES, Cornelia Hummel dirige avec Isabelle Mallon et Vincent Caradec l'édition de "Vieillesses et vieillissements. Regards sociologiques". Cet ouvrage collectif dresse un panorama de la recherche francophone sur le sujet, laquelle a été plus tardive que dans les pays anglo-saxons et s'est construite dans un contexte fortement influencé par les besoins des politiques sociales.

Parmi la trentaine de contributeurs, Cornelia Hummel aborde « les grands-parentalités contemporaines » et Jean-François Bickel « la participation sociale ». Tous deux sont membres de l'IP13 du Pôle de recherche national LIVES (Au-delà de la démocratisation du grand âge: Progrès et inégalités).

Résumé de l'éditeur

« L’allongement de la durée de vie et le poids démographique croissant des personnes âgées au sein des sociétés occidentales ont constitué la vieillesse et le vieillissement comme des problèmes politiques et sociaux majeurs. Les regards sociologiques sur la diversité de la vieillesse et du vieillissement rassemblés dans cet ouvrage partagent une perspective commune : substituer au problème social et politique de la vieillesse entendue comme un fardeau un questionnement sociologique qui déplace le regard habituellement porté sur la vieillesse et sur les vieux, et déconstruire les représentations majoritairement négatives de la dernière partie de l’existence. Les différentes contributions rappellent ainsi que la vieillesse est une construction sociale et politique, dont les caractéristiques et les catégorisations varient selon les sociétés. Elles proposent également une image plus complexe et moins unifiée des personnes âgées, en mettant en évidence les variations sociales de leurs pratiques et de leurs modes de vie. Enfin, elles s’attachent à rendre compte des expériences différenciées de l’avancée en âge à la fin du parcours de vie, c’est-à-dire des formes variées que prend le vieillissement selon les appartenances et les trajectoires sociales des individus.

Cet ouvrage propose ainsi un panorama des acquis de la recherche sociologique francophone sur les vieillesses et les vieillissements tels qu’ils sont socialement structurés dans nos sociétés. Ce faisant, il cherche à ouvrir des perspectives de réflexion et de recherche, tant aux étudiants qu’aux chercheurs ou aux praticiens intéressés par ces thématiques. »

Cornelia Hummel, Isabelle Mallon et Vincent Caradec (dir.), Vieillesses et vieillissements, Presses universitaires de Rennes, 2014

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Attaquer les inégalités à la racine ou les perpétuer : la stratégie d’investissement social en débat

L’investissement social vise à prévenir l’apparition de la vulnérabilité en intervenant dès le début du parcours de vie. En présence de très éminents spécialistes de la question, une conférence internationale accompagnée d’une table ronde propose d’évaluer cette stratégie montante en Europe et ailleurs, mais encore peu développée dans les institutions suisses et qui suscite aussi certaines critiques. A suivre les 10 et 11 avril 2014 à l’Université de Lausanne.

Investir dans le développement des compétences dès la petite enfance, c’est permettre à l’Etat social de diminuer très nettement ses dépenses à moyen et long terme, a calculé en 2009 le Prix Nobel d’économie James Heckman sur la base des données d’une célèbre expérience, The Perry Preschool Study. Cette étude longitudinale, menée à partir des années 60 sur deux groupes d’enfants, montre que ceux qui ont bénéficié d’un encadrement préscolaire de qualité enregistrent quarante ans plus tard de meilleurs niveaux de formation, des emplois plus stables, des revenus plus élevés et moins de séjours en prison à leur actif.

Esping-Andersen en invité vedette

Ces conclusions corroborent le concept d’investissement social développé depuis les années 90 par Gøsta Esping-Andersen. Actuellement professeur à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, il est un des auteurs les plus cités dans la recherche sur l’Etat-providence et a été impliqué dans de nombreuses instances internationales pour amener cette réflexion sur le terrain politique. Mais la vision du sociologue danois a également ses détracteurs. Face à certains de ces sceptiques, il sera l’un des principaux orateurs de la conférence « Evaluer la stratégie d’investissement social » organisée par le Prof. Giuliano Bonoli  et quatre collègues suisses, français et hollandais les 10 et 11 avril prochain à l’Université de Lausanne (IDHEAP) avec le soutien du Pôle de recherche national LIVES. Les autres conférenciers des sessions plénières seront Bea Cantillon (Université d’Anvers), Anton Hemerijck (Université libre d’Amsterdam) et Bruno Palier (Science Po Paris).

Selon ses défenseurs, l’investissement social vise à favoriser l’égalité des chances et répond au besoin de réforme de l’Etat social dans le contexte post-industriel, marqué par la montée du chômage, la transformation des structures familiales, le travail des femmes, les mouvements migratoires et le vieillissement de la population. Dans le milieu de la recherche, certains avancent cependant que les mesures existantes bénéficient avant tout à la classe moyenne et s’inscrivent dans une logique utilitariste et comptable visant davantage l’augmentation des revenus fiscaux et la diminution des coûts de la protection sociale qu’un véritable épanouissement humain. Un des objectifs de la conférence est de permettre aux chercheurs de confronter ces points de vue sur la base de résultats empiriques, lesquels donneront lieu à une trentaine de présentations.

Concept en hausse… sauf en Suisse

Un autre intérêt de l’événement est de permettre de sortir du cadre strictement européen pour s’intéresser à ce qui se passe sur d’autres continents, et d’amener enfin le débat en Suisse. En effet, si l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE) et la Commission européenne ont récemment ont adopté des positions très favorables à l’investissement social, on parle moins de ce qui se passe en la matière dans le reste du monde, et la Suisse semble peu concernée. « Certaines mesures allant dans le sens de l’investissement social ont été prises dans certaines villes et certains cantons, notamment dans le domaine de la petite enfance et de la réinsertion professionnelle, mais peu de partis politiques en ont fait un élément central de leur programme », affirme le Prof. Bonoli. A l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), la responsable du secteur Recherche et évaluation confirme que ce thème n’est pas à l’ordre du jour et qu’aucune étude n’est menée sur la question.

La conférence se terminera par une table-ronde à laquelle interviendront des personnalités provenant de plusieurs sphères politiques, administratives et académiques aux niveaux européen et suisse. Des visions enthousiastes aussi bien que prudentes ou critiques de l’investissement social y seront représentées. Le vice-directeur de l’OFAS, Ludwig Gärtner, y participera, une bonne occasion pour la Suisse de monter à bord de ce débat, espèrent les organisateurs.

« Les femmes et les enfants d’abord »

Parmi ces derniers, le Prof. Bruno Palier a été très actif pour faire avancer la cause de l’investissement social en Europe, qui a abouti en 2013 à l’adoption par la Commission européenne d’un train de mesures sur les investissements sociaux. Cette série de recommandations aux Etats membres pour la modernisation de leurs systèmes de sécurité sociale souligne l’importance de préparer les populations aux risques de la vie plutôt que de se contenter d’en réparer les conséquences. Le chercheur constate cependant que « pour l’instant, le monitoring consacré à la rigueur budgétaire mobilise bien davantage d’énergie que les projets d’investissement social. »

Il met également en garde contre la tentation de substituer l’investissement social à la protection sociale, qui demeure selon lui nécessaire et complémentaire. Et répondant aux critiques, par exemple selon lesquelles l’augmentation des places en crèche profite d’abord aux familles aisées, il rappelle que « pour réussir, l’investissement social doit viser l’universalité, et en attendant cibler les populations les plus pauvres, en donnant la priorité aux mères seules et migrantes. »

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Récolte de données sur le parcours de vie des ménages à revenu modeste

Le Département vaudois de la santé et de l’action sociale a mandaté le Pôle de recherche national LIVES et le Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS pour mieux comprendre les trajectoires de précarité dans le canton et en tenir compte dans les futures réformes des politiques sociales. Entre janvier et avril 2014, plus de 800 foyers de résidents vaudois auront été intégrés à l’enquête longitudinale du Panel suisse de ménages.

« Les populations difficiles à atteindre sont celles qui nous intéressent le plus ! » Le Prof. Felix Bühlmann a des motifs de se réjouir de la convention signée en novembre 2013 entre le Pôle de recherche national LIVES, le Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS et le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) : grâce à cet accord, environ 800 familles résidant dans le canton de Vaud ont pu être sélectionnées pour compléter l’échantillon du Panel suisse de ménages. Les personnes à bas revenu y sont volontairement surreprésentées. La collecte de données prendra fin en avril.

Un quart d’habitants aux revenus modestes

Dans la région lémanique, on estime à 16,4% la proportion de personnes vivant sous le seuil de risque de pauvreté (établi à 60% du revenu médian), qu’elles appartiennent à la catégorie des « working poors » ou des bénéficiaires de l’aide sociale. Mais au-delà, un quart des résidents vaudois reçoivent un subside pour payer leur assurance maladie et peuvent à ce titre être considérés comme à revenu modeste. « Le but est d’obtenir une vision systématique et synthétique des trajectoires de vulnérabilité pour renforcer le dispositif de soutien. Cet objectif est en phase avec le programme de législature 2012-2017, qui entend mettre l’accent sur la prévention », explique Judith Kühr, chargée de recherche au DSAS et responsable de la coordination entre l’administration et le PRN LIVES pour ce projet.

C’est le deuxième sur-échantillonnage auquel contribue LIVES dans le cadre du Panel suisse de ménages, conduit par le Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS. L’autre expérience s’intéresse aux jeunes de 15 à 24 ans qui ont été scolarisés en Suisse, dont deux tiers de migrants de la 2e génération. Dans les deux cas, il s’agit de populations généralement peu représentées dans les grandes enquêtes.

En plus du questionnaire concernant le foyer dans son ensemble, qui est administré par téléphone ou en face-à-face, chaque individu composant la famille est invité à remplir ensuite un « calendrier de vie ». Cet outil permet de retracer son parcours dans différents domaines, dont le travail et la santé. La partie réservée aux relations avec les institutions a été légèrement adaptée dans le cas du sur-échantillonnage vaudois, afin d’avoir une vision plus fine des liens entre les répondants et chaque prestataire d’aide : services sociaux, chômage, assurance invalidité.

Suivi dans la durée

Le Panel suisse de ménages (PSM) vise à réinterroger les mêmes personnes chaque année pour pouvoir suivre leur évolution. Un premier échantillon court depuis 1999 et un deuxième depuis 2004. Le troisième échantillon du PSM, constitué depuis 2013 avec les apports de LIVES, permet d’apporter une perspective plus « parcours de vie » et de focaliser davantage sur la question de la vulnérabilité. Plusieurs des 14 projets LIVES ont ajouté des questions et attendent les données collectées par l’institut de sondage MIS Trend pour pouvoir mener leurs analyses.

Le canton de Vaud devrait recevoir un premier rapport début 2015, puis après chaque vague d’enquête. Cette collaboration entre une administration publique et des centres de recherches académiques est positive : « Nous avons défini les objectifs ensemble et avons trouvé des compromis pour nous adapter à une autre logique, une autre temporalité », affirme le Prof. Felix Bühlmann. Et du point de vue méthodologique, le sur-échantillonnage constitue un défi, car il nécessite de pondérer certaines observations. Cette expérience ne fera donc pas que renseigner les autorités, mais également avancer la science.

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Chercheurs en sciences sociales et médias sociaux : de faux ennemis à rapprocher

La présence du Pôle de recherche national LIVES sur les réseaux sociaux se développe. En quoi ces nouveaux médias peuvent-ils être utiles à la recherche académique, et quels sont leurs publics-cibles ?

Comme une graine longtemps contenue par l’hiver, l’audience du PRN LIVES sur Facebook et Twitter a commencé à éclore récemment avec l’engagement d’une jeune « community manager », Fiona Friedli. En un mois, le nombre d’abonnés a poussé d’environ 40%, réunissant des personnes de tous horizons. Dans le milieu de la recherche, le pari est pourtant loin d’être gagné et bien des réticences demeurent.

Au Pôle de recherche national LIVES, nous pensons que les réseaux sociaux sont des outils utiles pour le transfert des connaissances produites. Comme le remarquent Philippe Breton et Serge Proulx, sociologues de la communication, « les usager-e-s du web ne se concentrent plus exclusivement sur ce qu'ils recherchent a priori, mais se laissent porter par une curiosité diffuse à travers l'environnement informationnel ». L'enjeu est donc de capter l'attention par des informations brèves afin de rediriger ensuite les lecteurs vers des contenus plus développés.

Valoriser la recherche

L'équipe de communication de LIVES a pour objectif de valoriser le travail des chercheurs et chercheuses du pôle et d’informer les parties prenantes et le grand public. Les liens postés sur les réseaux sociaux peuvent renvoyer aussi bien à des événements, des publications scientifiques, des papiers de vulgarisation ou des articles de presse plus généralistes sur la recherche.

A la différence d'autres supports de communication, les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook ont un effet pollinisateur: lorsqu'une information touche une personne, cette dernière peut la transmette très rapidement à son propre réseau. Les médias sociaux apparaissent donc comme des canaux complémentaires à d’autres outils que nous utilisons déjà pour communiquer au sein et au-delà de l'Université.

Des réticences

Mais cette posture ne fait pas l'unanimité dans le monde académique. Chargé de recherche au CNRS, Sylvain Deville déplorait récemment dans Le Monde que contrairement aux pays anglo-saxons, les chercheuses et chercheurs français se montrent souvent hostile à l'utilisation des réseaux sociaux pour relayer des informations académiques, alors même qu’au niveau institutionnel de plus en plus de centres et laboratoires de recherche possèdent des comptes sur Twitter, Facebook, LinkedIn, etc.

Il nous semble que le manque de légitimité qui frappe les réseaux sociaux concerne en général l’ensemble des supports de communication non scientifiques. Ce qui soulève d'autres problématiques : est-il souhaitable de diffuser largement la parole scientifique, et pour ce faire de parfois simplifier le contenu des recherches ?

Scientifique et citoyen

Sur ce point nous renvoyons à un débat mené par les sociologues Cyril Lemieux, Laurent Mucchielli, Erik Neveu et Cécile Van de Velde, cette dernière étant également très active sur Twitter. Cette discussion - « Le sociologue dans le champ médiatique : diffuser et déformer ? » - revient sur les enjeux relatifs à la présence des sociologues dans la sphère médiatique, en ce qu’elle engage le sociologue à la fois en tant que scientifique et en tant que citoyen.

Erik Neveu rappelle par exemple que si aujourd'hui la médiatisation de la sociologie est croissante et que cela peut représenter pour les chercheur-e-s certains risques d'instrumentalisation ou de réduction de la parole scientifique, cela permet également « d'introduire dans les débats sociaux des éléments d’objectivation des questionnements et des problématisations qui puissent conjurer les simplismes, la fausse clarté du sens commun et les discours bien cadrés de lobbies ou d’institutions qui ont un agenda caché. »

Dialogue avec la société

Le sociologue ajoute que « ce devoir de parole vient aussi de ce que nous avons le privilège de pouvoir mener des recherches souvent passionnantes grâce aux contribuables.» Tout en soulevant finement certains points de tension avec lesquels les chercheurs et chercheuses doivent composer, Erik Neveu les invite à réaliser cet exercice exigeant : se rendre audible auprès des médias et de la société.

Consciente de ces enjeux et en phase avec le mandat du Fonds national suisse de la recherche scientifique, la direction du Pôle de recherche national LIVES entend promouvoir le dialogue entre le monde académique et la société au sens large: politique, économie, institutions, associations, médias. Un travail qui se construit grâce à la collaboration des chercheurs et chercheuses du Pôle et pour lequel il est préférable de multiplier les supports de communication. 

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Références