Doctorante et déjà co-auteure d’un livre, Gaëlle Aeby performe dans la transition à l’âge adulte
Assistante de recherche au Centre de recherche sur les parcours de vie et les inégalités (LINES) de l’Université de Lausanne et inscrite au Programme doctoral du Pôle de recherche national LIVES, la jeune chercheuse vient de publier "Les miroirs de l’adolescence. Anthropologie du placement juvénile", une plongée dans le quotidien d’adolescents placés en foyer co-écrit avec les professeurs Laurence Ossipow et Marc-Antoine Berthod.
Alors qu’elle revenait d’un semestre à Hong Kong et était sur le point de terminer son master en sociologie à l’Université de Genève, Gaëlle Aeby a été engagée en 2007 pendant 13 mois pour s’immerger dans trois structures socio-éducatives genevoises. En Asie, elle avait questionné le rapport entre les aspirations des adolescents et les attentes parentales dans une société en mutation. Avec ce mandat, la jeune femme entrait alors de plain-pied dans le monde professionnel en s’attaquant à un sujet où la relation parents-enfants n’est guère plus évidente. Il s’agissait d’accompagner deux anthropologues sur un projet soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS): « Le travail social à l'épreuve des rites: processus identitaires et citoyenneté des adolescent-e-s placé-e-s en foyers ».
Observation participante
Cinq ans après la fin du terrain sort Les miroirs de l’adolescence. Anthropologie du placement juvénile aux éditions Antipodes, monographie réalisée sur la base de cette recherche avec Laurence Ossipow et Marc-Antoine Berthod, professeurs à la Haute-école spécialisée de Suisse occidentale et requérants du projet FNS. Ce livre est nourri par un riche matériel ethnographique récolté pendant plus d’une année d’observation participante et d’entretiens - formels et informels - tant avec les équipes éducatives qu’avec les adolescents placés. Des extraits de ces moments parsèment d’ailleurs l’ouvrage sous forme de « vignettes » et de citations qui éclairent et humanisent la réflexion théorique.
Au sein de l’équipe, Gaëlle Aeby était notamment en charge des entretiens avec les jeunes, dont elle a accompagné le quotidien pendant plusieurs mois dans chacune des structures visitées : la Tour, le Pavillon et l’Appartement. Ces foyers semi-ouverts accueillent des adolescents âgés de 14 à 18 ans soit à la suite de délits mineurs, soit en raison de carences familiales. Une distinction finalement peu importante puisque, comme le relève la chercheuse, « les jeunes placés en institution ont tous en commun une situation difficile, et la petite délinquance est souvent révélatrice de problèmes familiaux. »
Des moment de rite comme autant de miroirs
La recherche se concentre principalement sur les moments ritualisés - au quotidien pendant les repas, dans le processus éducatif à travers les réunions collectives ou les entretiens individuels de suivi, lors des sorties en groupe comme le camp de ski et des moments festifs liés aux anniversaires ou certaines dates clés du calendrier. Ces séquences de rituels – ces « miroirs » - sont autant d’occasions d’examiner comment les adolescents interagissent avec leurs éducateurs et leurs camarades, renégocient les règles et intègrent les apprentissages. « Le fait d’être présent dans la vie de tous les jours sur un certain laps de temps permet de faire émerger des logiques qui n’apparaîtraient pas dans les discours rationnalisés. Quand les gens parlent dans une interview, ils ne décrivent pas toute la complexité de leur vécu. C’est dans le « faire » et non dans le « dire », dans les petits gestes, que l’on décèle cette densité, ce d’autant plus à une période de transition aussi chargée que le passage à l’âge adulte », soutient Gaëlle Aeby.
L’éditeur décrit ce livre comme « une analyse anthropologique originale du placement juvénile qui intéressera le monde professionnel directement aux prises avec les réalités de ces adolescentes et de ces adolescents souvent issus de groupe socio-économiques défavorisés. Les réflexions proposées intéresseront également le monde des sciences sociales soucieux de comprendre la façon dont les institutions articulent des vécus singuliers aux attentes politiques et sociales qui pèsent sur une partie de la jeunesse. »
Lacunes institutionnelles
Depuis la parution, Gaëlle Aeby a retrouvé environ la moitié des vingt-sept jeunes cités dans la recherche pour leur offrir le livre. « Certains ont l’air d'aller bien, d’autres non. Plusieurs disent que ce passage en foyer leur a offert un répit, un temps pour réfléchir, se responsabiliser, se positionner. » Elle souligne néanmoins que l’absence de suivi après la majorité est un problème préoccupant : « Les lacunes institutionnelles sont énormes pour les 18-25 ans, au cours de ces années cruciales de transition. »
L’expérience de cette recherche aura aussi marqué le propre passage à l’âge adulte de Gaëlle Aeby. Elle en garde « un intérêt pour les vies individuelles, pour le suivi des gens et pour les ressources qu’ils mobilisent ». La jeune chercheuse a enchaîné depuis avec une étude sur les familles recomposées. Et son projet de thèse s’articule maintenant autour de la question des réseaux personnels dans les parcours de vie. Les miroirs de l’adolescence reflètent un début de carrière bien prometteur.
- Laurence Ossipow, Marc-Antoine Berthod, Gaëlle Aeby
Les miroirs de l'adolescence. Anthropologie du placement juvénile
Editions Antipodes, 2014