Un ouvrage collectif tente de mesurer en quoi l'accélération du temps a modifié les parcours de vie

Un ouvrage collectif tente de mesurer en quoi l'accélération du temps a modifié les parcours de vie

L'allongement inégal de la durée de vie, la despécialisation des âges, la désinstitutionalisation des parcours de vie et l'injonction à l'autonomie sont quelques uns des phénomènes décrits par les auteurs de ce livre, parmi lesquels plusieurs chercheurs et chercheuses membres du Pôle de recherche national LIVES.

Nathalie Burnay, Servet Ertul et Jean-Philippe Melchior publient Parcours sociaux et nouveaux desseins temporels, dont plusieurs chapitres ont été rédigés par des spécialistes des parcours de vie membres du PRN LIVES: Stefano Cavalli, Christian Lalive d'Epinay, Eduardo Guichard, Farinaz Fassa, Eric Widmer, Gilbert Ritschard, ainsi que par Aude Martenot, participante au programme doctoral.

Résumé des éditeurs

Au cours des dernières décennies, les parcours sociaux des individus se sont transformés, diversifiés et complexifiés, mais subissant plus que jamais les inégalités issues du monde globalisé. L’accélération du temps à l’œuvre dans les sociétés contemporaines est à l’origine de nouveaux desseins temporels qui structurent et orientent ces parcours. Les auteurs et contributeurs de cet ouvrage s’interrogent sur les devenirs des parcours sociaux d’individus singuliers soumis aux transformations des cadres temporels, mais aussi à de nombreuses incertitudes existentielles. Ainsi la concrétisation de ces nouveaux desseins temporels s’effectue dans un contexte marqué à la fois par l’allongement inégal de la durée de vie, la déspécialisation des âges de la vie, la désinstitutionalisation des parcours de vie et l’injonction à l’autonomie. Les textes réunis dans cet ouvrage collectif apportent un éclairage original sur ce qui rythme désormais l’existence humaine.

Nathalie Burnay, Servet Ertul et Jean-Philippe Melchior (dir.), Parcours sociaux et nouveaux desseins temporels, Academia, 2013

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Les résultats d’une étude sur l’activation du réseau présentés aux ORP

Une quarantaine de conseillers des Offices régionaux de placement du canton de Vaud sont venus à l’Université de Lausanne le 14 novembre 2013 pour découvrir les premières analyses d’une enquête effectuée par une équipe du PRN LIVES auprès de 4648 chômeurs. Leurs réactions ont fortement intéressé les chercheurs, qui pourront ainsi formuler de nouvelles hypothèses sur l’importance des relations sociales pour retrouver du travail.

« Après deux minutes de discussion, vous nous avez déjà donné plusieurs pistes très intéressantes », s’est exclamé le Prof. Giuliano Bonoli quand les premières questions ont surgi lors de la présentation qu’avaient préparée les membres de l’IP4 du Pôle de recherche national LIVES à l’intention des conseillers des Offices régionaux de placement (ORP) du canton de Vaud. Cette réunion avait pour but de partager les premiers résultats d’une recherche lancée début 2012 auprès de 4648 personnes en recherche d’emploi afin de voir quelle est l’utilité de l’entourage sur la prise d’emploi.

Dans une première partie, Nicolas Turtschi a montré que si les contacts personnels sont de loin la première source d’information pour trouver du travail, comme le prouve le parcours professionnel passé des chômeurs interrogés, ces derniers privilégient d’abord internet, la presse et les offres spontanées pour chercher un nouvel emploi. Les personnes peu qualifiées sont celles qui activent le moins leur réseau, alors même que c’est dans leurs domaines d’activité que les relations ont le plus d’influence, bien davantage que parmi les cols blancs, contrairement à une idée reçue.

Contacts les plus efficaces

Anna von Ow et le Prof. Daniel Oesch ont ensuite expliqué ce paradoxe : un niveau de formation plus élevé augmente la chance de décrocher un poste et diminue la probabilité de le trouver par le biais de ses relations. L’utilisation du réseau compense donc en partie des désavantages liés à l’éducation et à la nationalité. Les contacts les plus efficaces sont d’anciens collègues, intégrés dans le marché du travail, oeuvrant dans la même branche et jouissant d’une position hiérarchique. Le réseau est ainsi décisif pour les chômeurs étrangers peu formés, actifs dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et de la restauration, où les processus d’engagement sont moins formalisés.

A ce stade, plusieurs conseillers ORP ont déjà réagi : « Avez-vous comparé la durée du chômage entre les diplômés de grandes écoles et les non qualifiés ? » ; « Peut-être les ressortissants de l’Union européenne sont-ils plus motivés à retrouver du travail pour garder leur permis ! » ; « Peut-être que les employeurs favorisent les étrangers car ceux-ci acceptent de plus bas salaires… » ; « Les questionnaires ont été remplis en bonne partie pendant les mois d’hiver, au moment où les chômeurs de la construction sont en forte surreprésentation » ; « On sait que dans certaines cultures la notion de solidarité est très forte et que les chefs engageront plus facilement quelqu’un de la même origine. »

Bilan d’une expérience

Après cette première discussion, le Prof. Rafael Lalive a enchaîné sur l’expérience menée par l’équipe avec les participants à l’enquête : sur les 4648 personnes inscrites au chômage entre février et avril 2012, une moitié a été sensibilisée spécifiquement à l’importance d’activer son réseau social, ce qui rallongeait la traditionnelle séance d’information collective sur l’assurance-chômage de quinze minutes.

Avant de livrer les résultats de la comparaison, le chercheur a demandé aux conseillers ORP s’ils pensaient que cette mesure avait eu un impact sur une prise ultérieure d’emploi. Le verdict a été mitigé : certains conseillers ont réagi en soulignant qu’ils abordaient de toute façon la question du réseau dans leur présentation habituelle, et que d’autre part il est bien connu que les gens ne retiennent que 10 à 25% des informations données lors d’une séance.

Et en effet, l’expérience a montré un effet assez peu sensible de la mesure sur la prise d’emploi. Seules les femmes, les personnes ayant une bonne employabilité et celles au bénéfice d’une éducation tertiaire montrent une différence entre celles qui ont reçu la sensibilisation et celles qui ont juste assisté à la présentation ordinaire. Cela équivaut à un impact positif sur les profils plus les plus coopératifs, la mesure étant insuffisante pour les profils plus éloignés du marché du travail, ceux justement qui utilisent déjà peu leur réseau et pour qui il est prouvé que les contacts comptent le plus.

Réactions des conseillers ORP

A nouveau, le débat qui a suivi a été plutôt nourri. « Les hommes connaissent déjà l’importance du réseau, ils ont davantage de contacts et plus de culot pour les solliciter », a affirmé un conseiller ORP, contredisant les chercheurs qui pensaient au contraire que les hommes auraient plus tendance à dissimuler leur statut de chômeur afin de ne pas écorner leur image de principal soutien de famille.

Une autre conseillère ORP a soulevé un autre problème, celui des seniors qui ont de la peine à retrouver un emploi, et pour qui l’activation du réseau a la connotation négative du « piston ». « Tout dépend aussi de la région, a encore dit un autre : si le marché du travail est tendu, les contacts personnels compteront moins ! »

En conclusion, les chercheurs ont relevé qu’il est probable que pour certains publics, une simple information ne suffise pas, et qu’il faudrait certainement développer des mesures adaptées aux publics concernés, en tenant compte des spécificités des différents segments du marché du travail.

Le Prof. Bonoli a annoncé qu’une deuxième ligne de recherche démarrerait en 2015, portant cette fois-ci sur les employeurs. D’ici là, la valorisation des premières données va continuer. « Quand nous les présentons à nos collègues en Europe, nous pouvons voir l’envie qu’elles suscitent », a-t-il affirmé en remerciant vivement les conseillers ORP de leur collaboration essentielle pour cette étude.

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Chercheurs et praticiens de l’insertion des jeunes testent une formule d’échange inédite

Le 4 novembre 2013 à Lausanne, un forum a réuni des universitaires du Pôle de recherche national LIVES et des représentants des administrations vaudoise et fribourgeoise autour de la problématique des jeunes adultes à l’aide sociale. Cet échange informel visait à croiser les regards, sans impératif de résultat mais avec la volonté de mieux se connaître entre milieux concernés par les mêmes questions et pourtant fortement éloignés dans la pratique.

« Multi-dimensionnalité de la vulnérabilité » : ces mots sont revenus souvent, le lundi 4 novembre au Bâtiment administratif de la Pontaise, pour parler des difficultés que rencontrent les jeunes adultes au moment d’intégrer le monde du travail. Chercheurs en sciences sociales et responsables de service ou de programme d’insertion – en tout une vingtaine de personnes - ont débattu pendant un après-midi des défis de la prise en charge de ces 18-25 ans qui cumulent les désavantages.

Quelques portraits de jeunes en rupture ont été esquissés en début de séance par Nicole Andrey, responsable du projet « Scenic Adventure », une mesure d’insertion socio-professionnelle dans le canton de Vaud visant à remobiliser les participants grâce à la réalisation d’une production artistique. Beaucoup de ces jeunes sont marqués par des problèmes familiaux, une faible estime d’eux-mêmes, des soucis de logement et une mauvaise hygiène de vie, a-t-elle décrit. La responsable a souligné l’importance de tenir sur la distance et de se méfier de l’illusion du résultat immédiat – tant pour les jeunes que pour leurs encadrants.

Contributions scientifiques

Trois courtes présentations de chercheurs du Pôle de recherche national LIVES ont suivi. Felix Bühlmann (IP5) a fait part de son intérêt à étudier les parcours de vie de cette population et à problématiser des mesures d’insertion existantes en mettant à profit les avancées méthodologiques permises par l’analyse de séquences, une manière de tirer des typologies à partir de trajectoires au départ très variées, afin de mieux comprendre comment certains s’en sortent mieux que d’autres.

Puis Emilie Rosenstein (IP5) a résumé les conclusions d’une étude ayant porté sur le programme FORJAD du canton de Vaud, réalisée avec Jean-Michel Bonvin et Maël Dif-Pradelier. Recourant au concept des capabilités, elle a insisté sur le besoin d’appropriation par les jeunes des mesures qui leur sont proposées, en soulignant deux dimensions décisives : l’individualisation de l’accompagnement et la temporalité, ce qui signifie de mettre en place des projets prenant en compte les trajectoires biographiques et le rythme de chacun. Elle a terminé en posant la question de « l’après » des mesures, en demandant ce que l’Etat pourrait faire pour créer des opportunités sur le marché du travail, pour que les jeunes ne se heurtent pas à la désillusion.

Enfin Christian Staerklé (IP9) a abordé une perspective plus psychosociale de l’intégration professionnelle en s’intéressant au besoin de reconnaissance des jeunes – par leurs pairs, par leur famille et par leur environnement - ainsi qu’à l’importance de l’identité et des appartenances sociales. Il a évoqué une recherche menée par son équipe, qui a constaté l’effet bénéfique des définitions collectives du soi sur le sentiment d’efficacité, notamment parmi les jeunes issus de l’immigration, conclusion qui pourrait inspirer les programmes d’aide à l’insertion professionnelle.

Un débat animé

Dans le débat qui a suivi, François Mollard, chef du Service de l’action sociale dans le canton de Fribourg, a déclaré qu’il voyait dans les objets de la recherche des atouts supplémentaires pour défendre les projets en faveur des jeunes à l’aide sociale. A ses côtés, Jean-Claude Simonet, conseiller scientifique dans le même service, est intervenu plusieurs fois pour relever les nombreux défis posés par l’insertion de cette population, et la nécessité de diversifier les approches pour répondre à tous les besoins.

Du côté vaudois, le Service d’aide et de prévoyance sociales était notamment représenté par sa cheffe de service, Françoise Jaques, et Antonello Spagnolo, chef de la section Aide et insertion sociales. Ce dernier a posé plusieurs questions de fond : par exemple, comment permettre aux bénéficiaires de s’affranchir des prestations fournies par le secteur public ? Jusqu’où va la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de ces personnes quand leur intégration professionnelle ne réussit pas pour des raisons inhérentes au marché du travail ?

« Accepter que certains soient sacrifiés n’est pas facile », a renchéri Jean-Claude Simonet. Pour certains, la priorité doit être de rapprocher les jeunes des réalités du monde du travail, la prise d’emploi étant le véritable moteur. Beaucoup constatent cependant que le plein emploi est une illusion. D’autres encore comparent le travail à une véritable violence pour des personnes déjà fragiles, rappelant qu’il ne garantit pas forcément à lui seul l’indépendance financière. Et comment mesurer le succès quand les difficultés d’insertion professionnelle s’accompagnent d’autres problèmes (addictions, etc.) ?

Des questions à approfondir

La discussion, de plus en plus animée, n’a débouché sur aucune solution miracle. Les chercheurs, parmi lesquels Dario Spini, directeur du PRN LIVES, ont plaidé pour une plus grande collaboration entre l’administration et le monde scientifique en vue de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les processus d’exclusion et de mobilité sociale. Les praticiens se sont quant à eux déclarés intéressés à mieux connaître grâce à la recherche ce que les jeunes ayant bénéficié de mesures deviennent à moyen terme, s’ils arrivent à maintenir les compétences acquises, quels sont les résultats concrets des programmes existants.

Les participants se sont quittés en concluant que de futures rencontres pourraient servir à approfondir des questions précises en petits groupes, en intégrant aussi d’autres acteurs, comme des représentants des employeurs et de la société civile, et en élargissant l’approche à d’autres étapes du parcours de vie, sachant que les problèmes ne surgissent pas d’un coup à 18 ans et ne se terminent pas simplement à 25.

Le 4e âge à portée de tous : parution d’un livre qui incarne parfaitement cette nouvelle réalité humaine

Le 4e âge à portée de tous : parution d’un livre qui incarne parfaitement cette nouvelle réalité humaine

Christian Lalive d’Epinay et Stefano Cavalli publient un ouvrage grand public à la fois sensible et érudit dans la collection « Le Savoir suisse », puisant dans un vaste réservoir de données et de témoignages recueillis au cours des trente-cinq dernières années en Suisse auprès de personnes de plus de 80 ans, tranche d’âge à la plus forte croissance démographique.

Quand il vous donne rendez-vous sur un quai de gare, Christian Lalive d’Epinay vous annonce d’emblée, afin que vous puissiez le reconnaître : « Je suis grand, vieux et mince ». A 75 ans, ce sociologue doublé d’un infatigable voyageur est certes un spécialiste reconnu du vieillissement, fondateur et ex-directeur du Centre interfacultaire de gérontologie et professeur honoraire de l’Université de Genève. Mais à la lecture du livre qu’il publie ces jours avec Stefano Cavalli - son ancien doctorant devenu maître assistant et qui prendra dès janvier la responsabilité d’un centre universitaire tessinois de compétence sur le vieillissement, on est tenté de citer leur propre ouvrage pour relativiser : « L’éveil de la conscience d’être vieux est toujours soutenu par l’expérience vécue de la fragilisation ». Or Christian Lalive d’Epinay n’a rien de fragile, et le livre des deux auteurs montre bien que la vieillesse ne commence maintenant, pour beaucoup, qu’après 80 ans, au cours de ce quatrième âge que la plupart des habitants des sociétés industrialisées finissent de nos jours par atteindre.

A n’en pas douter cependant, la proximité de l’échéance pour Christian Lalive d’Epinay contribue à donner à cette publication une tonalité particulière : « Avantage de mon âge, je crois avoir le droit d’associer vieillesse et mort sans détour, sans craindre de choquer. Stefano a joué un rôle important sur ce point, en m’encourageant à exprimer quelques-unes des convictions que j’ai acquises en trente ans de recherches sur le thème, tout en m’aidant à garder une certaine distance dans la manière de l’exprimer », explique le sociologue.

Richesse des données

Au cours de leur longue collaboration, Christian Lalive d’Epinay et Stefano Cavalli - tous deux impliqués dans le Pôle de recherche national (PRN) LIVES, le premier en tant que membre de son Conseil consultatif, le second comme chercheur au sein de l’IP13 - ont travaillé sur cinq enquêtes transversales ou longitudinales sur la population âgée, réalisées de 1979 à 2011 (GUG-1979, CIG-1994, SWILSOO, CEVI, VLV), la dernière étant financée par le PRN LIVES. Trois de ces enquêtes ayant eu un volet qualitatif, les témoignages abondent dans "Le Quatrième Âge ou la dernière étape de la vie" et lui donnent une grande partie de sa force.

En quelque 130 pages au style fluide et vivant, les auteurs dressent le portrait d’une population loin d’être aussi homogène que prévu, malgré ses traits communs. Si l’expérience de la fragilisation concerne une majorité de personnes très âgées, toutes n’arrivent pas en fin de vie de manière totalement dépendante. Cette auscultation sociologique du quatrième âge nous instruit sur les changements qui s’opèrent dans cette phase de la vie, sur les inégalités entre hommes et femmes (qui ne sont pas forcément là où on les attend) ainsi qu'entre les classes sociales, et nous ouvre les yeux sur les questions de conscience et d’identité qui agitent les individus.

De la mort et du sens de la vie

Le livre se termine par une réflexion sur le voisinage de la mort et le sens de la vie, réflexion enrichie par l’apport de témoignages très émouvants des participants aux enquêtes, ainsi que par des références littéraires et philosophiques allant de l’Antiquité aux existentialistes.

On ne peut refermer cet ouvrage sans se demander ce que le professeur à la retraite qui l’a co-rédigé fait de toutes ses connaissances pour se préparer à l’inéluctable : il répond par une liste d’occupations mêlant petits-enfants, randonnée, excursions dans des territoires « hors civilisation » (Grand Nord canadien, Alaska…), amitié et lectures en tous genres, y compris la poésie, « ce qui est nouveau et m’a surpris moi-même », confesse-t-il en citant deux vers de Philippe Jaccottet : « Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance / plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne… »

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Le cancer du sein frappe aussi les hommes. Une équipe LIVES s’en préoccupe

La maladie qui concerne une femme sur huit fait également des victimes parmi leur compagnon. Dans le cadre du Pôle de recherche national (PRN) LIVES, un projet dirigé par le Prof. Nicolas Favez montre que les deux partenaires doivent être soutenus.

C’est une micro-équipe qui s’est attaquée à l’étude des impacts psychosociologiques d’un mal majeur au 21e siècle : le cancer du sein, première cause de mortalité des femmes de moins de 60 ans. Nicolas Favez, professeur de psychologie à l’Université de Genève et chef de l’IP11 du PRN LIVES, mène une enquête longitudinale avec une chercheuse post-doc, une doctorante et une infirmière, en collaboration avec un médecin du CHUV, dont une des originalités est de s’intéresser également au ressenti des conjoints dans cette épreuve.

L’étude se déroule en plusieurs étapes. Dans le mois qui suit leur opération, les patientes et leur partenaire sont invités à répondre à un questionnaire individuel et à participer à un entretien d’environ 30 minutes. L’exercice est ensuite répété trois fois au cours des deux années suivantes. Le questionnaire sert à récolter des données sociodémographiques sur les participants ainsi que des informations sur leur état psychologique, la qualité de leur relation de couple et le soutien social dont ils bénéficient. L’entretien permet d’approfondir certains ressentis et permettra une approche par « méthodes mixtes », mêlant le quantitatif et le qualitatif.

Plus de participant-e-s que prévu

Au départ, fin 2011, l’équipe s’attendait à recruter très difficilement des participants et s’était fixé comme objectif de réunir 60 couples, soit 120 personnes. Deux ans plus tard, 150 personnes ont déjà été interviewées, et l’expérience montre que le taux de refus n’est que de 30%. Des femmes célibataires participent également à l’étude, ou sont en couple mais seules à répondre, le conjoint n’ayant pas accepté d’entrer dans le projet.

« Nous constatons que les gens sont souvent contents que l’on s’intéresse à eux pour autre chose que des questions médicales. Les hommes notamment sont particulièrement touchés qu’on les inclue dans la démarche », explique le Prof. Favez. « Or l’analyse des premières données montre que le stress généré par la maladie est tout aussi élevé, voire davantage, chez les hommes que chez les femmes, qui ont un ennemi clair à combattre, alors que leurs compagnons se sentent ballotés et sans contrôle de la situation. »

Le chercheur note aussi que les femmes chez lesquelles on recense les plus grands signes de symptômes de dépression sont aussi celles dont le conjoint a refusé de participer : « C’est peut-être un indice de tension relationnelle, et l’on sait déjà que le soutien du partenaire dans n’importe quel type de maladie est essentiel pour la santé mentale. Ce qui est plus controversé, c’est de savoir si la santé mentale a à son tour un impact sur le système immunitaire, et donc sur la santé physiologique », poursuit-il.

De la matière pour dix ans

A ce stade, seules les données de la première vague de questionnaires et d’entretiens ont été en partie analysées. « Nous avons de la matière pour dix ans de recherche et de publications », se réjouit le responsable du projet.

Une autre originalité de cette étude est de recourir à la théorie de l’attachement pour observer la manière dont les femmes vivent leur cancer et analyser le type de soutien apporté par les partenaires face à une telle maladie. Grossièrement résumée, cette théorie répartit les personnes selon trois types d’attachement : le sécurisé, l’anxieux et l’évitant, en fonction de constructions de la personnalité liées aux premiers mois de la vie. « Nous avons déjà pu analyser par exemple que les femmes « évitantes », qui ne montrent pas leurs besoins émotionnels et sont dans l’hyper-contrôle d’elles-mêmes, souffrent davantage des atteintes à l’image de leur corps que provoque le cancer du sein. Cela laisse penser qu’il faudrait peut-être cibler les interventions en fonction des personnalités de chacune et de chacun », entrevoit le psychologue.

Prévention et soutien psychologique

Car le but ultime de cette étude, en plus de la recherche fondamentale, est bien d’arriver à faire des propositions pour une prévention des effets négatifs du cancer sur le bien-être psychologique. Pour l’instant, les femmes ne bénéficient d’aucun suivi systématique, et les hommes d’aucun soutien du tout. L’équipe de projet estime qu’il faudrait prévoir ces espaces, où les hommes pourraient ainsi venir déposer en toute confidentialité le fardeau de l’accompagnement au quotidien de leur compagne malade.

Les entretiens menés dans le cadre de l’étude montrent en tout cas que les partenaires retirent une grande satisfaction de cet intérêt pour leur état personnel. L’autre conclusion, encore provisoire également, est que si ce moment est intégré dans le processus ordinaire du traitement de la patiente, il a de plus grandes chances d’être pris en compte que s’il surgissait d’une autre instance. Les couples accepteront d’autant plus volontiers cette offre qu’elle ne les détourne pas de leur priorité : vaincre la maladie.