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L’évolution des politiques suisses de la retraite vue par des sociologues

Au cours du 9e Congrès de la Société suisse de sociologie fin juin 2013 à Berne, un workshop organisé par René Knüsel (UNIL) et Jean-François Bickel (HES-SO et PRN LIVES) avec Béatrice Steiner (UNIL) et Laure Kaeser (PRN LIVES) s’est penché sur les enjeux de l’assurance vieillesse. Une des organisatrices, qui présentait également un papier, revient sur cet atelier pour en dégager les principales conclusions.

Le 21 juin 2013, le Conseil fédéral a adopté les axes de la réforme Prévoyance vieillesse 2020, mettant l’accent sur le maintien des niveaux des prestations et sur la consolidation du financement du système de prévoyance. Les principaux arguments entendus se concentrent sur les ressources nécessaires au maintien du régime de l’AVS et du deuxième pilier, ainsi que sur les enjeux associés à la prolongation de la vie active. Une semaine plus tard, c’était au tour des scientifiques d’interroger cette problématique à l’occasion du Congrès de la Société suisse de sociologie organisé à l’Université de Berne. Dans le cadre du workshop C16, chercheuses et chercheurs ont tenté de s’extraire des débats brûlants qui font la part belle aux luttes idéologiques et politiques pour apporter un regard distancié et une perspective plus analytique.

Augmentation de l’espérance de vie mais persistance des inégalités

Face aux discours alarmistes du nécessaire prolongement de la vie active pour pallier le vieillissement des populations, les travaux présentés rappellent la persistance des inégalités sociales au temps de la vieillesse. Ces disparités, qui tendent à être occultées dans les débats actuels, découlent de parcours de vie hétérogènes où les caractéristiques individuelles et les contextes structurels impactent les conditions de vie et de santé à la retraite.

Alors que le 1er pilier est le plus égalitaire grâce à la 10e révision de l’AVS, les conditions relatives aux constitutions du 2e et du 3e pilier tendent à creuser les inégalités socio-économiques, passé l’âge de la retraite. Le 2e pilier dépend entre autres de la durée de cotisation, du niveau de revenu et de la caisse de prévoyance, et péjore de fait les personnes ayant connu des trajectoires professionnelles discontinues et / ou ayant occupé des postes peu qualifiés. Ainsi, les femmes encourent fortement le risque d’être discriminées par un système de retraites encore largement calqué sur la figure de l’homme pourvoyeur principal des ressources du ménage. Mais c’est aussi le cas d’autres groupes de population comme les personnes d’origine étrangère, qui sont nombreuses à avoir travaillé dans des secteurs pénibles tels que la construction ou les ménages, et pour lesquelles un prolongement de la vie active s’avérerait peu envisageable. Quant au 3e pilier, il est basé sur l’épargne individuelle et dépend donc de la capacité des individus à économiser une partie de leurs ressources financières pendant leur vie active.

Les seniors: des personnes à activer ou à protéger?

Dégagés de leurs obligations professionnelles, les retraités n’en demeurent pas moins, pour la plupart, désireux de continuer à prendre part à la vie de la société. Mais ceci n’a pas nécessairement la même signification pour certains acteurs économiques et politiques, qui détournent cet argument pour appuyer leurs discours sur le prolongement de la vie active. Ils transforment ainsi le souhait de certains retraités de participer activement à la société en injonction normative à contribuer positivement à la société et à rester utile économiquement – ou du moins non pesant. Force est de constater que les politiques sociales actuelles comptent d’ores et déjà grandement sur une «génération-sandwich» qui doit souvent à la fois s’occuper de parents très âgés et prendre soin des petits-enfants.

Pour un meilleur accès à l’information sur les retraites

Avec ses trois piliers basés sur des logiques différentes, le système de retraite suisse est souvent perçu comme obscur et difficile d’accès. Peu de personnes sont capables d’en saisir tous les enjeux et subtilités. Les chercheuses et chercheurs ont donc conclu sur la nécessité d’une sensibilisation et d’un meilleur accès à l’information pour toute personne résidant en Suisse. Ceci devrait permettre à chaque personne le désirant de prendre part aux débats actuels sur le futur des retraites, débats qui demeurent encore trop souvent inaccessibles de par leur complexité.

Laure Kaeser

«Enjeux de l’évolution des politiques suisses de la retraite»
Congrès de la Société suisse de sociologie, Workshop C16, Berne, 26-28 juin 2013
Organisé par René Knüsel (UNIL), Jean-François Bickel (HES-SO et PRN LIVES), Béatrice Steiner (UNIL), Laure Kaeser (PRN LIVES)

Les organisateurs du workshop tiennent à remercier les intervenant.e.s pour la richesse de leur contribution. Ont participé à ce workshop:

  • La Suisse et les régimes d'Etat-providence: Les fins de carrières suisses sous le prisme des comparaisons internationales, Jacques Wels, Université libre de Bruxelles
  • Se maintenir en emploi au-delà de 50 ans en Suisse: un éclairage par le genre, Morgane Kuehni, Magdalena Rosende, Céline Schoeni, Université de Lausanne
  • Rôle et place de la catégorie «travailleurs âgés» dans la réformes du système de retraite en Suisse, Béatrice Steiner, Université de Lausanne
  • Discours et politiques du «vieillissement actif» à l'épreuve des réalités vécues, Laure Kaeser, Pôle de recherche national LIVES
  • Les défis du système de retraite suisse, Jenny Assi, Mario Lucchini et Spartaco Greppi, Scuola Universitaria Professionale della Svizzera Italiana
  • Vers une nouvelle approche de la vieillesse? Une analyse des débats parlementaires dans le cadre de la 10e et 11e révision de l’AVS, Elizabeth Galleguillos, Université de Lausanne
"L'Etat social: un rempart face à la crise?": Congrès de l'Association suisse de politique sociale

"L'Etat social: un rempart face à la crise?": Congrès de l'Association suisse de politique sociale

Le jeudi 19 septembre 2013 à Berne aura lieu le Congrès annuel de l'ASPS, avec une introduction par son président, Jean-Michel Bonvin, ainsi qu'une conférence de Giuliano Bonoli et deux ateliers menés par Felix Bühlmann et Daniel Oesch, tous membres par ailleurs du Pôle de recherche national LIVES.

La crise financière et économique que l’Europe et les Etats-Unis connaissent depuis plusieurs années déjà met les systèmes de sécurité sociale devant des défis considérables. En Suisse comme ailleurs, elle renforce les doutes quant à la nécessité, la viabilité financière et l’efficacité de l’Etat social. Tout regard sur un pays occidental montre toutefois que l’influence de la crise sur les régimes de la sécurité sociale varie très fortement selon le pays et le domaine de la sécurité sociale. C’est également et tout particulièrement pour la Suisse, où la crise financière internationale ne se manifeste pas encore sous forme de crise économique profonde, que se pose la question si ce n’est pas justement la sécurité sociale qui constitue une base importante du succès économique.

Le congrès annuel 2013 de l’ASPS, en coopération avec la Haute Ecole Spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW), la Haute école spécialisée de Zurich (zhaw), la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (Hes-SO) et avec le soutien de l'Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH), abordera cette question à la fois dans une perspective globale et dans l’optique de thématiques spécifiques à l’Etat social suisse.

Le congrès s’adresse aux personnes actives dans l’enseignement et dans la rechercher, dans l’administration ou dans la politique qui s’intéressent aux questions de politique sociale.

Résister à la rhétorique de l'abus : une nécessité pour le droit social

Résister à la rhétorique de l'abus : une nécessité pour le droit social

Un numéro spécial de la Revue suisse de travail social est sorti en juin 2013 sur la question de "l'abus" dans le travail social et les politiques sociales. Edité par Jean-Michel Bonvin et Eva Nadai, ce recueil comporte notamment un article d’une doctorante LIVES rattachée à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale, qui montre comment le discours politique a stigmatisé les bénéficiaires de l’Etat social pour aboutir à une restriction de leurs droits.

Comme le résume l’éditorial du dernier numéro spécial de la Revue suisse de travail social, la contribution d’Emilie Rosenstein, doctorante dans l’IP5 du Pôle de recherche national LIVES basée à la Haute école de travail social et de la santé – EESP Lausanne, « étudie l’impact des débats parlementaires sur l’abus dans le cadre des réformes récentes de l’assurance-invalidité. Il montre comment les discours sur l’abus ont participé à la redéfinition de l'assurance-invalidité et plus généralement ont transformé l’équilibre entre responsabilités collective et individuelle. L’article analyse d’une part, le contexte d’émergence ainsi que le contenu des discours sur l’abus et d’autre part, les conséquences de la lutte menée contre les abus depuis la 5e révision de la LAI sur les droits et obligations des assurés. »

Dans sa conclusion, la jeune chercheuse estime que la place accordée à l’abus dans les discours politiques tend à « stigmatiser les assurés tout en redéfinissant de manière non négligeable les libertés et opportunités qui leur sont ouvertes. (…) Les réformes actives engagées en matière de politiques sociales ont passablement modifié l’équilibre entre responsabilités sociale et individuelle (…) faisant de la responsabilité individuelle la condition d’accès à la protection sociale. »

Dans une telle approche, la responsabilité individuelle est moins envisagée comme un objectif, une finalité de l’action sociale, que comme un prérequis. On aboutit ainsi à un paradoxe puisque l’individualisation des droits sociaux, au-delà de son potentiel émancipateur, peut également se traduire en « une entrave à l’autonomie et à la liberté des personnes », les plus vulnérables notamment.

Vernissage du livre "Reconnaître le care: Un enjeu pour les pratiques professionnelles"

Vernissage du livre "Reconnaître le care: Un enjeu pour les pratiques professionnelles"

Professeurs à la Haute école de travail social et de la santé - EESP - Lausanne et membres du Pôle de recherche national LIVES, Marianne Modak et Jean-Michel Bonvin ont dirigé un ouvrage sur le "care", l'activité de ceux qui prennent soin des autres sans grande reconnaissance politique, économique et sociale. Le vernissage a lieu le lundi 8 juillet 2013 à 11h45 à l'EESP, en présence des éditeurs et des auteurs.

"Le care, c'est à la fois se soucier et prendre soin des autres. Cette activité, au coeur du travail social et sanitaire, est mal reconnue, sans doute parce que la vulnérabilité sociale à laquelle s'adresse le care n'a guère de place dans des sociétés valorisant avant tout le mérite. Les personnes qui effectuent ce travail, des femmes pour l'essentiel, en paient le prix.

Le défi de la reconnaissance du care est dès lors politique, puisque le reconnaître c'est admettre sa nécessité et donner les conditions de son accomplissement adéquat.

C'est l'ambition de ce livre, qui réunit les contributions stimulantes de spécialistes du care issue-e-s des milieux professionnels et de la recherche."

Auteurs: Natalie Benelli, David Fuehrer, Marie Garrau, Claire-Lise Gerber, Olivier Giraud, Pierre Gobet, Pascale Haldimann, Barbara Lucas, Mascha Madörin, Nicolas Perrin

Sous la direction de Marianne Modak et Jean-Michel Bonvin
Professeurs à l'EESP, respectivement membre de l'IP8 et chef de l'IP5 du PRN LIVES.

© 2013, Editions EESP, ch. des Abeilles 14, CH-1010 Lausanne, www.eesp.ch
Cet ouvrage a été publié avec l'appui du Pôle de recherche national LIVES

Invitation au vernissage