Pour que la recherche soit utile à l’élaboration des politiques sociales

Pour que la recherche soit utile à l’élaboration des politiques sociales

Le Pôle de recherche national LIVES – Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie (PRN LIVES) souhaite promouvoir le dialogue entre recherche et action. Il organise dans ce but une table ronde ouverte au public le 21 juin 2013 à Genève, où d’éminentes personnalités du monde politique et du domaine social débattront avec des universitaires, sous la houlette de la journaliste Esther Mamarbachi. En prenant l’exemple des politiques familiales, les intervenants tenteront d’identifier les domaines où de nouveaux instruments sont nécessaires pour faire face à l’évolution des structures et parcours familiaux. Ils discuteront des moyens d’arriver à de meilleurs transferts de connaissances entre chercheurs, décideurs et responsables d’organismes sociaux.

La table ronde du 21 juin à Uni Mail - « Comment allier sciences sociales et société ? L’élaboration des politiques familiales en question » - réunira diverses personnalités représentant la sphère politique, le domaine social ou la communauté académique : Jean Blanchard, secrétaire général du Mouvement populaire des familles, Liliane Maury Pasquier, conseillère aux Etats (PS/GE) et vice-présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, Lucrezia Meier-Schatz, conseillère nationale (PDC/SG) et directrice de Pro Familia, Sylvie Reverdin-Raffestin, directrice de Pro Juventute Genève et présidente de la Commission cantonale de la famille, Walter Schmid, directeur du Département de travail social à la Haute école spécialisée de Lucerne et président de la Conférence suisse des institutions d’action sociale, et enfin Dario Spini, professeur de psychologie sociale à l’Université de Lausanne et directeur du PRN LIVES.

Dans le public, de nombreux chercheurs seront présents, car l’événement interviendra au terme de deux jours de conférence scientifique consacrée au thème des ressources pour surmonter la vulnérabilité. Animée par Esther Mamarbachi, habituée à la conduite de débat dans le cadre de l’émission Infrarouge de la Radio Télévision Suisse, la table ronde est très attendue par les organisateurs de la 2e conférence internationale du PRN LIVES : selon Floriane Demont, membre du comité scientifique de la conférence et responsable des questions d’égalité au sein du PRN LIVES, « l'intérêt de cette table ronde est d’être le plus possible en prise avec les préoccupations des parties-prenantes sur le sujet des politiques familiales, de mieux comprendre leurs besoins, afin que la recherche académique puisse y répondre, et de faire connaître également LIVES et ses compétences dans ce domaine, afin de tisser des liens et de pouvoir par la suite échanger sur ces questions. »

Mesures sociopolitiques innovantes

C’est là un enjeu important pour le PRN LIVES. Car s’il a obtenu le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique, c’est en partie en raison de son ambition de favoriser des avancées en matière de lutte contre la vulnérabilité par l’émergence de mesures sociopolitiques innovantes. Mais pour cela, encore faut-il que les résultats de ses études atteignent les décideurs. En outre, l’objet même de ces recherches ne peut que gagner à être inspiré par les réalités du terrain. Les chercheurs veulent donc tisser davantage de liens avec les acteurs sociaux, témoins des vrais besoins des populations vulnérables. Le moyen de garantir ces allers retours constants entre recherche et action reste à mettre en œuvre.

Les organisateurs de la conférence LIVES ont estimé que le thème des politiques familiales était particulièrement indiqué pour créer ces ponts entre recherche et action. Car les structures et parcours familiaux ont énormément changé en 30 ans, posant de nouveaux défis, par exemple dans la poursuite d’un équilibre entre vie professionnelle et familiale, ou encore en raison de la précarité vécue par un certain nombre de familles, notamment monoparentales et/ou migrantes. La question d’inventer de nouveaux instruments législatifs et institutionnels se pose alors. Et la recherche peut agir comme force de proposition, si de nouveaux canaux de transmission sont mis en œuvre pour motiver des enquêtes et communiquer leurs résultats.

Rapprocher le monde académique des décideurs et de la société civile pour forger les bases d’une recherche en sciences sociales véritablement utile à la société : au PRN LIVES, la table ronde du 21 juin se veut un premier pas dans ce sens.

Dario Spini consacré par l'Hebdo comme une des personnalités qui font la Suisse romande

Dario Spini consacré par l'Hebdo comme une des personnalités qui font la Suisse romande

L'hebdomadaire romand choisit chaque année 100 hommes et femmes qui se sont démarqués soit comme leaders, bâtisseurs, artistes et provocateurs, espoirs et éminences grises, ou encore scientifiques. C'est dans cette dernière catégorie que se retrouve à l'honneur pour l'édition 2013 le directeur du Pôle de recherche national LIVES - Surmonter la vulnérabilité: perspective du parcours de vie (PRN LIVES).

Quelle est la place assignée aux pauvres dans les villes? Le cas des populations «rrom»

Quelle est la place assignée aux pauvres dans les villes? Le cas des populations «rrom»

La Haute école de travail social et de la santé – EESP Lausanne et l’Institut des Études genre de la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève, avec le soutien de la HES·SO et du Pôle de recherche national LIVES, organise une journée d’études le 4 juin 2013.

Tant du côté de la recherche que du travail social, on constate une radicalisation du discours et des pratiques répressives ciblant les migrant·e·s sans droit au travail, et notamment les populations «rrom» en provenance d’Europe centrale et des Balkans.

Au cours de cette journée d’étude, le Prof. Jean-Pierre Tabin, sociologue (EESP – HES·SO / Université de Lausanne/ PRN LIVES), donnera une conférence intitulée «La mendicité: construction d’un problème public». Puis le Prof. Tommaso Vitale, politiste au Centre d’études européennes à Sciences Po Paris, interviendra sur le thème: «Rroms dans les villes européennes: instruments d’action publique». Enfin Iulia Hasdeu, anthropologue, Maître assistante à l’Institut des Études genre du Département de sociologie de l’Université de Genève, s’exprimera sur «Identité de genre et espace public: le point de vue rrom».

La journée se poursuivra avec une table ronde: «Quelle gouvernance urbaine aujourd’hui face à la pauvreté?» avec des acteurs politiques, sociaux et académiques.

Cette journée est gratuite, mais l'inscription est obligatoire (délai 27 mai 2013) auprès de severine.holdener@eesp.ch.

Des chercheurs en sciences sociales auscultent la recherche en santé

Des chercheurs en sciences sociales auscultent la recherche en santé

Plusieurs membres du Pôle de recherche national LIVES sont impliqués dans un colloque organisé par l’Académie suisse des sciences humaines et sociales le 14 juin 2013 à l’Université de Fribourg sous le titre: «Recherche en santé. Perspectives des sciences sociales».

Ce colloque poursuit les objectifs suivants:

  • Démontrer la contribution spécifique et innovante des sciences sociales dans le domaine de la recherche en santé;
  • Présenter et discuter les concepts centraux d’une recherche en santé dynamique et orientée vers une qualité de vie et une maîtrise du quotidien; relever leurs portée et implications tout comme les défis méthodologiques qui en font partie;
  • Mettre en valeur de nouveaux domaines thématiques jusqu’à présent peu traités et prometteurs;
  • Fournir un soutien pour l’agenda de recherche qui a pour but de créer des domaines principaux et une densification des compétences;
  • Mettre en réseau les acteurs issus des nombreuses disciplines et institutions;
  • Contribuer à l’ancrage institutionnel des sciences sociales dans la recherche en santé.

Le groupe de préparation est composé de Claudine Burton-Jeangros (Université de Genève, cheffe de l’IP10 du PRN LIVES), Céline Schmid-Botkine (FORS), Peter Farago (FORS, membre de l’IP15 du PRN LIVES), Dominique Joye (Université de Lausanne, chef de l’IP15 du PRN LIVES), Mike Martin (Université de Zurich), Julie Page (ZHAW Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaft), Martine Stoffel (ASSH, Berne), Markus Zürcher (ASSH, Berne).

Le directeur du PRN LIVES, Dario Spini, donnera une conférence en plénière, intitulée «Vulnérabilité et résilience au cours de la vie – connaissances et implications pour la recherche et la pratique», et le chef de l’IP2, Claudio Bolzman, participera au workshop II «Vulnérabilité et résilience au cours de la vie».

Photo Reto Bürgin

Prof. Glen H. Elder, Jr: «Etudier les parcours de vie à travers le temps: l’aventure de toute une existence»

Distingué par un doctorat Honoris Causa de l'Université de Genève, le célèbre spécialiste des parcours vie a partagé, le 18 avril 2013 avec des membres du PRN LIVES et d’autres auditeurs, quelques jalons de sa biographie, imprégnée d’éléments du paradigme qu’il a contribué à développer.

Pour ceux qui étaient sur une autre planète que les sciences sociales les cinquante dernières années, commençons par rappeler qui est Glen Elder. Professeur émérite de sociologie et de psychologie à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (USA), il est l'auteur de Les enfants de la Grande Dépression ("Children of the Great Depression").

Publié en 1974 et réédité plusieurs fois depuis dans des versions complétées, ce livre est une référence majeure dans la recherche sur les parcours de vie. Il montre comment la crise économique et sociale de 1929 aux États-Unis a affecté différemment les enfants nés en 1920-1921 et ceux de 1928-1929. Alors que la cohorte la plus jeune a eu un début très difficile dans la vie en raison des épreuves – précarité et stress notamment – que traversaient les familles, les enfants de la cohorte plus âgée étaient quant à eux déjà trop grands pour être aussi sensibles aux tensions familiales, et trop jeunes encore pour souffrir des mêmes problèmes que leurs parents sur le marché du travail.

Le Prof. Elder était invité le 18 avril 2013 à l'Université de Genève pour intervenir dans le cadre des conférences publiques Vulnérabilité dans le parcours de vie organisées par l'Institut d’études démographiques et du parcours de vie (IDEMO) et le Pôle de recherche national LIVES. A cette occasion, il a pu recevoir en personne le doctorat Honoris Causa que l'Université de Genève lui avait accordé l’automne dernier lors du Dies Academicus. Il a ensuite donné une conférence sur sa carrière personnelle, suivant le fil de l'évolution des études du parcours de vie, dont les principaux concepts transparaissaient par touches dans son discours.

Principe des vies liées ("linked lives")
Les vies des personnes sont vécues de façon interdépendante, et les relations influencent la façon dont les individus interprètent les événements de leur vie.

La mère de Glen Elder était professeure d'anglais; elle lui a donné un goût durable pour les biographies. Son père a quitté une profession médicale pour se mettre à l'agriculture; le Prof. Elder estime qu'il lui doit son sens de l'innovation.

Temporalité des événements de la vie ("timing of lives")
L'impact des transitions de la vie dépend du moment où elles se produisent.

La famille Elder a déménagé à la campagne lorsque Glen avait 14 ans. «Avant, j’étais un garçon des villes». Il a donc fait le chemin inverse de beaucoup de gens. Une fois étudiant en psychologie sociale, il a travaillé comme conseiller en orientation pour l'université, ce qui lui a donné l'idée de faire son mémoire de maîtrise sur la transition aux études supérieures.

Insertion dans un temps historique et un lieu ("lives in time and place")
Nous sommes le produit d'un contexte.

Les études longitudinales ont commencé dans les années 30 aux Etats-Unis. Lorsque Glen Elder est devenu post-doc dans les années 60, il a rejoint une équipe de l'Université de Californie qui travaillait sur les données qui l’ont rendu célèbre. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis: «Il y avait moins de 50 publications par an dans le domaine des parcours de vie en 1992. Elles dépassent aujourd’hui les 600 par an. (...) Certains des élèves que nous avons formés siègent maintenant dans les comités de lecture», se réjouit le professeur Elder. «Vous êtes actuellement dans l'âge d'or, car les données existent!»

Développement tout au long de la vie ("life span development")
Les êtres humains se développent au-delà de l'enfance – biologiquement, socialement et psychologiquement.

«Il m'a fallu une vie pour développer une compréhension complète du parcours de vie.» «Recherches après recherches, j'ai constaté des répétitions, des choses récurrentes», autant de matériaux qui sont devenus son cadre théorique.

Intentionnalité ("agency")
Les humains ne sont pas passifs mais capables de faire des choix qui façonnent leur vie.

«Mon patron à Berkeley passait son temps à se battre à Washington pour obtenir des fonds afin de financer des études longitudinales. J'avais donc la liberté d'être créatif.» «J'ai dû innover pour réduire les coûts de collecte des données.» Les méthodes mixtes étaient la solution: «Les données qualitatives disponibles dans les archives nous ont permis de recoder, grâce à quoi nous avons pu poser de nouvelles questions.»

Aujourd'hui âgé de 79 ans, Glen Elder se souvient: «L'une des observations les plus marquantes de ma carrière, c'est la prééminence de la résilience suite aux moments difficiles. La vulnérabilité et les inégalités sont des processus cumulatifs, mais il y a toujours des moyens de sortie.» Le même constat s'applique à lui-même. Une fois hors de la salle de conférence, il confie: «Je suis devenu veuf après 45 ans d’heureux mariage. Trois ans plus tard, j'ai rencontré Sandy, et elle a ramené la lumière dans ma vie. Je n'aurais jamais espéré un tel miracle.»

Conférence internationale LIVES

«Ressources en temps de vulnérabilité: perspective multidisciplinaire», avec des exposés de sept conférencières internationales et six membres seniors du PRN LIVES, Université de Genève, 20-21 juin 2013, suivie d'une table ronde avec plusieurs parties prenantes du monde politique et institutionnel afin de discuter du lien entre recherche et élaboration des politiques sociales.

Marc Perrenoud à la basse, avec Howard S. Becker (un des grands sociologues interactionnistes) au piano, à l'occasion du colloque "Howard Becker et les mondes de l'art" en 2010 (Centre culturel international de Cerisy-la Salle, France)

Les «musicos»: une catégorie professionnelle à part, à qui l’UNIL prête l’oreille

Maître d’enseignement et de recherche à l'Institut des sciences sociales et chercheur au sein du Pôle de recherche national LIVES, Marc Perrenoud conduit avec deux assistants une étude qualitative sur les musiciens «ordinaires» en Suisse: des personnes qui connaissent davantage la précarité que la notoriété, et que la pratique rapproche au fond plus des artisans que des artistes.

Dans la hiérarchie des musiciens, il y a ceux, tout en haut de l’affiche, que l’on est prêt à payer pour en cueillir religieusement les sons. Puis, en dessous, toute la gamme de ceux que l’on écoute un peu par hasard, dans un bar branché ou dans un festival, ou que l’on entend juste d’une oreille, au restaurant ou au détour d’une rue passante. «Nous n’accordons pas la même écoute à ces différents types de musiciens, selon qu’on les considère comme des artistes, des partenaires d’événement ou de simples auxiliaires. Cette typologie est beaucoup plus signifiante pour le statut du musicien que le genre de musique auquel il s’adonne», explique Marc Perrenoud, sociologue et chercheur au sein du projet No 6 du Pôle de recherche national LIVES: «Vulnérabilité à l'interface de la vie familiale et professionnelle: Différences entre les genres et les professions».

Avec une assistante et un assistant étudiants, Frédérique Leresche et Jérôme Chapuis, qui effectuent ainsi leur travail de maîtrise, Marc Perrenoud enquête depuis septembre 2012 en Suisse (romande principalement) sur ces «musicos» qui peinent à vivre de leur talent. A eux trois, ils ont déjà effectué une cinquantaine d’entretiens semi-directifs avec des musiciens de tous styles, membres d’un groupe semi-professionnel, animateurs de thé dansant ou joueurs de rue.

Des chercheurs eux-mêmes musiciens

Les trois chercheurs ont tous un lien fort avec la musique et la scène: Marc Perrenoud lui-même joue de la contrebasse et de la basse électrique; à l’époque où il passait sa maîtrise et son doctorat, en France, il a joué environ six cent fois en public dans des contextes très différents, de groupes de jazz manouche à l'électro post-rock en passant par le be-bop ou le funk. «Les intérêts de l'ethnographe ont recoupé ceux du musicien quand il s'est agi de diversifier et multiplier les situations d'emploi et donc les terrains d'enquête pour ma thèse», raconte le chercheur.

En Suisse, d’après les premiers constats, la majorité des musiciens ordinaires a un boulot à côté, le plus souvent comme profs de musique, et une partie bénéficie de subventions pour pouvoir se produire, grâce à la constitution d’associations dont ils deviennent salariés ou bénéficiaires. Une situation qui tranche avec la France, où les musicos peuvent bénéficier des allocations prévues pour les intermittents du spectacle, ou avec les Etats-Unis, où ils se partagent souvent entre la scène et un job purement alimentaire dans un registre non musical. L’enseignement de la musique n’a pas la même place dans ces pays qu’en Suisse, où 20% de la population pratique un instrument contre 8% en moyenne ailleurs, offrant ainsi un débouché presque naturel aux professionnels de la musique.

Etre ou ne pas être un musicien professionnel

Le fait de vivre entièrement de leur passion, dans un faisceau de tâches incluant l’enseignement, en fait-il des musiciens plus légitimes? «Certains d’entre eux semblent le penser. Mais on pourrait également les assimiler aux profs de sport ou de dessin, dont le métier diffère de celui d’athlètes ou de plasticiens», précise Marc Perrenoud. «Nous sommes encore en train de circonscrire notre objet, un geste scientifique élémentaire qui est trop souvent négligé, et qui est d’autant plus nécessaire dans notre cas que nous partons sans liste préétablie, sans filtre construit par d’autres, puisque c’est un champ encore inexploré», déclare le chercheur. «Dans tous les cas, nous privilégeons une approche interactionniste, au cœur du terrain, et définissons comme musiciens ceux que leurs pairs considèrent comme tels. En France, j’ai constaté que les musicos tendaient à se dépeindre eux-mêmes davantage comme des artisans que comme des artistes. C’est notamment dû à leur rapport à la création musicale. Quand on n’est pas connu, on sera plus souvent engagé pour jouer des reprises.Cette tension entre art et métier en fait, par la force des choses, des artistes «déclassés». Mais en Suisse, la situation pourrait être différente, puisqu’ils sont moins soumis à la pression de faire de la scène alimentaire.»

Une scène réduite et fragmentée

Par contre, en Suisse, la scène musicale est réduite et fragmentée par le jeu du régionalisme culturel et des subventions locales. «Si vous êtes connu à Bulle, cela ne veut pas dire que vous percerez à Bienne. Alors qu’en France, faire une carrière locale est possible, grâce à l’existence de plusieurs métropoles où les musicos peuvent jouer jusqu’à cent fois par an dans un rayon de 200 kilomètres, représentant un bassin d’un million d’habitants.»

Au terme de cette étude qualitative dans quelques mois, les chercheurs n’excluent pas de déposer un nouveau projet pour un volet quantitatif. «Ça bouillonne», se réjouit Marc Perrenoud, déjà satisfait d’avoir pu inscrire son objet fétiche de recherche dans la problématique du PRN LIVES: «Nous suivons des carrières, ce qui fait appel à une perspective longitudinale. Quant à la question de la vulnérabilité, elle n’est pas liée qu’à la précarité économique dont souffrent les musicos. Nous l’étudions aussi comme un processus de fragilisation, qui peut apparaître dans tout milieu, même favorisé économiquement, comme c’est le cas dans d’autres enquêtes de l’IP6, par exemple sur les élites. La question de fond est de savoir pourquoi certains s’en sortent mieux que d’autres, quelles sont les ressources en jeu…» Un air bien connu au sein du PRN LIVES.

Pour aller plus loin:

L'affiche des Mystères de l'UNIL 2013 © UNIL

Les parcours de vie dévoilés aux jeunes visiteurs des Mystères de l’UNIL 2013

Le Pôle de recherche national LIVES attend les enfants aux prochaines portes ouvertes de l’Université de Lausanne, du 30 mai au 2 juin 2013, avec trois animations où les chercheurs expliqueront quelques concepts clés de leurs études de manière ludique sur le thème général du «Pire meilleur des mondes».

Utopie / Dystopie: deux visions antagonistes de la société du futur que les organisateurs des Mystères de l’UNIL ont choisies comme fil rouge de la manifestation 2013, les jeudi et vendredi 30 et 31 mai, ainsi que les samedi et dimanche 1er et 2 juin. Durant ces portes ouvertes annuelles de l’Université de Lausanne, ce thème sera illustré par la vision d’un Titanic moderne, symbole d’une ambition technologique et du plus grand bien-être matériel qui peut également virer au cauchemar par le naufrage.

Le Pôle de recherche national LIVES – Surmonter la vulnérabilité: perspective du parcours de vie (PRN LIVES) s’est joint à l’équipage pour proposer trois animations aux visiteurs des Mystères 2013.

« Je suis le roi du monde ! » (Atelier No 5)

Au premier poste organisé par le PRN LIVES, les enfants parcourront un navire des cales jusqu’à la proue sur le mode du jeu de l’hippocampe. Ils tomberont en route sur des événements du parcours de vie qui les feront soit avancer, soit reculer, soit stagner - comme les études, les accidents de santé ou les problèmes familiaux. L’objectif est de les sensibiliser au fait que nous sommes tous sur le même bateau: la case de la crise économique, par exemple, affectera l’ensemble des joueurs. Quelques concepts clés de la théorie des parcours de vie ont été appliqués de manière simplifiée pour rédiger les règles du jeu: vies liées, intentionnalité, temporalité des événements, etc.

« Une valise, c’est capital » (Atelier No 6)

Dans l’atelier suivant, les enfants devront préparer leur valise pour émigrer dans un nouveau monde à l’aide d’une pile d’objets proposés. Dans ce jeu de rôle, ils seront confrontés à de sévères douaniers qui vérifieront si le contenu des bagages comprend suffisamment de capital économique, de capital social et de capital culturel, des notions très sociologiques que connaissent bien les chercheurs du PRN LIVES.

« La pointe de l’iceberg » (Atelier No 7)

Enfin, dans le troisième jeu, des icebergs à taille humaine se dresseront devant les visiteurs, qui découvriront ici les différentes formes que peuvent prendre des pyramides des âges selon les pays et les époques. Les joueurs seront initiés à l’impact démographique d’une guerre ou d’une famine sur une génération. Ils verront en coup d’œil les conséquences de la baisse de la natalité et du vieillissement de la population sur les sociétés modernes, ainsi que les traces d’une forte mortalité infantile dans les pays les moins avancés.

Un équipage conséquent

Vingt-cinq membres du PRN LIVES se relayeront sur les trois animations pendant quatre jours pour encadrer les enfants, secondés par des étudiants et des étudiantes en sciences sociales et politiques. Parmi les volontaires, beaucoup de doctorants, des chercheurs avancés et même quelques professeurs, dont le directeur et la vice-directrice du PRN LIVES. Cette équipe représente la moitié des effectifs du PRN LIVES à l’UNIL. Trois doctorants se sont particulièrement impliqués pour participer à la conception des animations, chacun dans sa spécialité.

Cap sur la vulgarisation

Pour un pôle de recherche national comme LIVES, participer aux Mystères de l’UNIL est une formidable opportunité de vulgariser ses objets d’étude, comme le réclame son financeur, le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Selon ce dernier, les PRN se caractérisent par «une recherche d'excellente qualité et internationalement reconnue», et «un effort particulier dans le transfert de savoir et de technologie», notamment à l’intention du grand public.

Rendez-vous est donc pris avec les jeunes, en classe et en famille, qui transiteront sur le campus de l’UNIL entre le 30 mai et le 2 juin 2013. Avec l’ambition de leur passer le message que la recherche en sciences sociales peut être le meilleur pire des mondes…

Image de la couverture du livre "Parents après 40 ans" de Marc Bessin et Hervé Levilain, Editions Autrement, 2012

Faire face à la parentalité tardive, un phénomène pas si récent que l’on croit

Certains séminaires du PRN LIVES sont l’occasion d’inviter des chercheurs et chercheuses suisses ou étrangers pour présenter des travaux de recherche. C’est dans ce cadre que s’est déroulée, le 9 avril 2013 à l'Université de Lausanne, une intervention de Marc Bessin, sociologue français bien connu, à propos de ses recherches sur la parentalité après 40 ans.

Le séminaire de l’IP6 du Pôle de recherche national LIVES a pour ambition générale d’explorer l’heuristique de l’analyse des mondes professionnels sous l’angle de la sociologie du parcours de vie et des études genres. C’est très précisément à l’intersection de ces deux domaines de recherche que se situait l’intervention de Marc Bessin, chercheur au CNRS et directeur de l’IRIS (EHESS-Paris), à propos des «logiques biographiques de la parentalité tardive» dans le contexte français.

Frontières biologiques et sociales de la parentalité tardive

La «parentalité tardive» compte au nombre des sujets médiatiques souvent rattachés aux métamorphoses supposément récentes de la sphère familiale. Un tel statut enjoint les chercheurs et chercheuses à être particulièrement précautionneux dans la définition de leur objet. Marc Bessin rappelle ainsi, en guise de préliminaire, que la question de la «parentalité tardive» stricto sensu n’est pas un phénomène récent. Avoisinant les 10% de la population au début du XXe siècle, la proportion de parents «tardifs» n’a cessé de décroître en France jusqu’au début des années 1980, pour ensuite seulement augmenter lentement et atteindre les 4% aux alentours des années 2000. Cette diminution de parents «sur le tard» au cours du XXe siècle est dû à une baisse progressive de la proportion des familles nombreuses, qui entraînait autrefois mécaniquement, pour les personnes ayant quatre enfants ou plus, de grandes chances de devenir parents passé quarante ans.

La focalisation médiatique sur la parentalité tardive n’est donc pas l’indicateur d’un phénomène authentiquement nouveau. Elle s’inscrirait plus généralement dans l’inflation médiatique qui entoure la question des «grossesses à risque», dans le sillage de la diffusion, depuis les années 1970, de la pratique médicale de l’amniocentèse et de la détection prénatale de la trisomie 21 notamment – dont les risques augmentent pour les enfant nés de mères après 40 ans.

Comme le souligne Marc Bessin, la recherche qu’il a menée ne vise pas à s’intéresser à la construction politico-scientifique de cette catégorie des «grossesses à risques». Son objectif a plutôt été d’analyser comment les personnes se saisissent de ces figures imposées de la parentalité et leur font face dans des configurations sociales singulières, en tenant compte du genre bien entendu, mais aussi de l’origine sociale et du parcours biographique.

Ajournement et recommencement

La notion de parentalité tardive recouvre donc un éventail de situations. Deux logiques biographiques principales peuvent être néanmoins dégagées des 44 entretiens menés dans le cadre de l’enquête de Marc Bessin auprès de parents «tardifs»: la logique de «l’ajournement» et celle du «recommencement».

La logique de l’ajournement se décline différemment selon le genre. Elle peut s’inscrire dans la continuité d’un «célibat qui dure», la plupart du temps pour des hommes qui ont passé la première partie de leur vie professionnelle à fortement investir la sphère professionnelle en délaissant leur vie privée. Au contraire, dans une modalité biographique plus mixte, cette logique d’ajournement peut également s’inscrire dans un projet de prolongation d’une forme de vie comme «couple sans enfants». A la suite des mouvements de mai 68, un tel choix relève bien souvent d’une remise en question des cadres institutionnels (et fortement genrés) de la vie professionnelle et familiale, plus attentive à la recherche de soi et à l’investissement des sphères de l’activité associative ou militante. Ce sont ces investissements parallèles qui tendent ici, à retarder de facto la mise en place d’un projet procréatif.

La logique du recommencement peut quant à elle être subdivisée en deux modalités distincte. Dès lors qu’elle intervient après une première expérience de vie en couple avortée, la parentalité tardive peut prendre l’aspect d’un nouveau départ. Elle peut être alors saisie comme une chance d’accomplir une parentalité idéalisée, aux vues des possibles erreurs ayant nourri la première rupture. Elle entraîne une réévaluation des expériences passées, et prend ainsi la forme d’un événement important de la vie («turning point»). A l’inverse, cette logique du recommencement peut également s’inscrire dans une histoire conjugale assez longue, avec le même partenaire. Cette dernière modalité, concernant généralement les personnes de classes populaires, est peut-être quant à elle la plus éloignée des conceptions médiatiques de la «parentalité tardive».

Pierre Bataille

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On pourra trouver l’intégralité du développement des analyses de Marc Bessin dans son livre (co-écrit avec Hervé Levilain), «Parents après quarante ans», paru en 2012 aux éditions Autrement, ou encore dans le dossier d’étude publié par la CNF en 2005 et co-écrit avec Hervé Levilain et Arnaud Regnier-Loilier (http://www.univ-metz.fr/recherche/labos/2l2s/travaux/parentalite-tardive_Levilain.pdf).

Photo © LVES Hugues Siegenthaler

Parution d’un livre sur les politiques sociales d’activation en Europe

Giuliano Bonoli, professeur à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) et membre de l’IP4 du PRN LIVES, vient de publier un livre chez Oxford University press intitulé "The Origins of Active Social Policy: Labour Market and Childcare Policies in a Comparative Perspective" (Les origines des politiques sociales actives: politiques de l’emploi et de la garde d’enfants dans une perspective comparative).

Le livre du Prof. Giuliano Bonoli est le résultat d’une étude menée dans le cadre d’un projet du Fonds national suisse de la recherche scientifique et terminée en 2010 sur la réorientation des politiques sociales vers la promotion de l’emploi dans sept pays européens : le Danemark, la Suède, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et les Pays Bas.

Dans le cadre de l'IP4 de LIVES et de l'IDHEAP, le Prof. Bonoli collabore à une recherche sur l’impact en Suisse de l’activation du réseau social par les chômeurs dans leur quête de travail. Après avoir suivi une cohorte de demandeurs d’emploi du canton de Vaud et collecté des données pendant une année, l’équipe est maintenant entrée dans la phase d’analyses. «Nous commençons à avoir les premiers résultats», se réjouit-il.

Les thèmes développés dans le livre du Prof. Bonoli ne sont pas sans lien avec ses préoccupations dans le cadre du PRN LIVES: «Les politiques de réinsertion professionnelle sont un des instruments que la politique sociale met en place pour lutter contre la vulnérabilité. L'étude montre comment ces politiques se sont développées en Europe depuis vingt ans», explique-t-il.

Résumé

Traduction de la page du site d’Oxford University Press

Depuis milieu des années 1990, les Etats-providence européens ont subi une transformation majeure. Par rapport aux années d'après-guerre, ces pays mettent moins l'accent aujourd'hui sur la protection du revenu et davantage sur la promotion de la participation au marché du travail. Ce livre explore cette transformation en mettant l'accent sur deux champs des politiques sociales: le marché du travail et la garde des enfants. Partout en Europe, les gouvernements ont investi massivement dans ces deux domaines. Cela a abouti à des Etats-providence plus actifs et produit des réalisations plutôt solides, susceptibles de survivre aux années turbulentes de l'après-crise. Pourquoi? Des études de cas de trajectoires politiques dans sept pays européens et des analyses statistiques avancées sur les montants des dépenses suggèrent que l'évolution vers une politique sociale active n’est pas qu’une réponse à un nouvel environnement économique. La compétition politique, en particulier dans la mesure où les politiques sociales dites actives peuvent être utilisés à des fins électorales, nous aide à comprendre le caractère transnational de la réorientation des politiques sociales. Ce livre, en essayant de comprendre l'évolution vers un État social actif, fournit également une mise à jour des théories en sciences politiques sur l'élaboration des politiques sociales.

Giuliano Bonoli, The Origins of Active Social Policy: Labour Market and Childcare Policies in a Comparative Perspective, Oxford University Press, 2013