Photo Hugues Siegenthaler

Le PRN LIVES à la rencontre des décideurs et de la société civile

Le Pôle de recherche national (PRN) LIVES a notamment pour ambition de favoriser l’émergence de mesures sociopolitiques innovantes. C’est pour cela qu’il a lancé le groupe «Politiques sociales», réunissant cinq experts. Une de ses missions est de proposer des événements et des activités de transfert de connaissances vers les décideurs et les professionnels des politiques sociales.

Si les sciences dites dures ou exactes peuvent déboucher sur des avancées technologiques tangibles, qu’en est-il des sciences humaines, où les découvertes sont rarement brevetées et les résultats peu monnayables? «Les transferts de connaissance sont difficiles à appliquer en politiques sociales, car les décisions dépendent davantage d’équilibres politiques que de résultats de recherches scientifiques», constate le professeur Jean-Pierre Tabin, enseignant à la Haute Ecole de travail social et de la santé – ESSP, chercheur au sein de l’IP5 et membre du groupe Politiques Sociales créé par LIVES en début d’année 2012.

Il cite par exemple la récente décision du Conseil national de durcir une fois de plus la loi fédérale sur l’asile, malgré de nombreuses études ayant montré que la précarisation des migrants a des effets délétères.

Nouveau colloque sur la pauvreté

Pour autant, le monde scientifique n’est pas ignoré des décideurs. Ainsi le Département de la santé et de l’action sociale du Canton de Vaud va-t-il organiser en automne 2012 un nouveau colloque intitulé «Pauvreté: trajectoires individuelles, logiques sociales» en collaboration avec le PRN LIVES et d’autres partenaires académiques, deux ans après une première édition qui avait eu un grand écho et dont les actes ont été publiés ce printemps. Lors de ce prochain événement les 11 et 12 octobre, une douzaine de professeurs membres de LIVES, dont plusieurs membres du groupe Politiques sociales, interviendront aux côtés du célèbre sociologue français Serge Paugam, directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Les autres exemples d’intervention du PRN LIVES dans le champ public sont nombreux: participation à des conférences-débats, mandats de recherche pour le compte d’institutions ou d’associations sur des thématiques en lien avec la vulnérabilité, réponses aux questions des médias sur des thèmes de société (voir la revue de presse).

Proposer de nouvelles pistes

Selon Dario Spini, directeur du PRN LIVES, le transfert de connaissance en termes de politiques sociales va monter en puissance ces prochaines années, en collaboration avec les associations et la société civile: «Notre travail n’est pas de faire de la politique, mais de poser des questions, de donner notre avis, de partager nos informations, qui résultent de recherches et de faits empiriques validés qui ne sont pas assez connus et repris. Par exemple, si l’on voit que le divorce entraîne de la pauvreté dans les familles monoparentales et chez les femmes en particulier, quelles sont les réponses? Il y a le régime de l’assistance, bien sûr, mais on pourrait peut-être proposer d’autres choses. Peu rappellent par exemple à ces mères que s’il est légitime d’arrêter de travailler, elles feraient bien de continuer à se former, car sinon elles risquent de se vulnérabiliser dans leur parcours de vie à travers un choix privé légitime.»

Conclusion: les milieux politiques et économiques auraient tout intérêt à chercher davantage d’inspiration auprès de ceux qui étudient l’évolution de la société. Les recherches de LIVES pourraient même donner des idées de nouveaux marchés. A quand la formation obligatoire des femmes au foyer?

Du privé au public

Car la distinction entre le domaine public et privé est selon le directeur de LIVES une pure construction sociale: «Avec la moralisation de la question de la fumée, la politique se mêle aujourd’hui d’une question auparavant considérée comme très personnelle. Et si on laissait le choix aux gens, il n’est pas sûr qu’ils décideraient tout seuls de limiter leur conduite à 120 kilomètres/heure…»

«Les parcours de vie à l'épreuve des mondes du travail»

Journée d'étude autour des travaux de doctorant-e-s le 26 juin 2012 à Lausanne.

Deux doctorants de l'IP6 du PRN LIVES organisent une journée d'étude autour des travaux de doctorant-e-s intitulée «Les parcours de vie à l'épreuve des mondes du travail» le 26 juin 2012 dès 9 heures à l'Université de Lausanne, Bâtiment Vidy, salle 531.

Voir le programme complet.

«Les EMS ne se présentent pas comme des lieux de vie au climat délétère»
«Les EMS ne se présentent pas comme des lieux de vie au climat délétère»

«Les EMS ne se présentent pas comme des lieux de vie au climat délétère»

Stefano Cavalli, maître assistant au Centre interfacultaire de gérontologie et d'études des vulnérabilités (CIGEV) et membre de l’IP13 du PRN LIVES, a publié fin mai 2012 chez Georg Editeur «Trajectoires de vie dans la grande vieillesse. Rester chez soi ou s’installer en institution?» Interview.

Comment est né ce livre?

Stefano Cavalli: A Genève, depuis 30 ans, nous étudions les trajectoires de vie et de santé des personnes âgées. Vers la fin des années 1990, j'avais procédé à une analyse comparative des populations vivant à domicile et en EMS sur la base des données d'une étude transversale réalisée en 1994 à Genève et en Valais central (cf. mon livre «Vieillards à domicile, vieillards en pension: une comparaison»). Puis, j'ai été associé au programme de recherche SWILSOO («Swiss Interdisciplinary Longitudinal Study on the Oldest Old»), dirigé par le prof. Chistian Lalive d'Epinay, qui a permis de suivre des octogénaires des mêmes régions pendant 10 ans. En ce qui me concerne, je me suis particulièrement intéressé aux trajectoires des personnes très âgées qui se sont installées dans un EMS au cours de l'étude. Grâce à du matériel à la fois quantitatif et qualitatif, j'ai pu reconstruire les parcours des nouveaux résidents depuis l'amont de la transition.

Combien de personnes ont participé à l'étude?

L'étude SWILSOO a permis de suivre, sur une période allant jusqu'à 10 ans, 717 personnes résidant à Genève et en Valais central. Au départ, les participants étaient âgés de 80 à 84 ans et vivaient dans un domicile privé. Une centaine d’entre eux sont entrés en EMS au cours de l'étude. Par ailleurs, 74 personnes, dont 26 résidant en EMS, ont aussi fait l'objet d'un entretien approfondi.

Quel est l'âge moyen d'entrée en EMS et le temps moyen de séjour avant l'issue fatale?

L'entrée en EMS a lieu de plus en plus tard. En Suisse, 6% des personnes de 65 ans et plus et un peu moins de 20% des personnes de 80 ans et plus résident en EMS. Les disparités cantonales sont importantes. La moyenne d'âge en EMS est de 84,7 ans pour les femmes et de 80,9 ans pour les hommes. Les femmes y demeurent en moyenne 3 ans, les hommes 1 an seulement (données OFS, 2000 et SOMED, 2007).

Quelles sont les difficultés que rencontrent les personnes âgées à l'heure d'entrer en EMS, puis ensuite dans cette nouvelle étape de leur vie?

Je distinguerais deux types de difficultés: celles liées à leur situation (état de santé dégradé, en particulier) et celles liées au fait de devoir affronter une rupture biographique comme l'entrée en EMS.
Bien que la grande vieillesse ne soit pas synonyme de maladie et de dépendance, les personnes très âgées doivent faire face à de nombreux défis (fragilisation de leur corps et de leur esprit, perte d'autonomie, décès de proches, etc.). C'est au moment même où le processus de sénescence affaiblit la capacité de l'individu à s'adapter aux changements (sa plasticité) tout comme son aptitude à préserver un équilibre avec l'environnement matériel et social, que la personne entrant en EMS est confrontée à un événement perturbateur majeur.
La décision d'entrer en EMS est aussi pénible parce qu'elle implique de quitter son cadre de vie pour se rendre en terre inconnue.
Enfin, l'institution est associée à l'idée de mauvaise santé, de dépendance. Pour ceux qui y entrent, elle symbolise l'échec du maintien à domicile et la reconnaissance de la perte d'autonomie. Les nouveaux résidents connaissent le caractère irréversible de la décision et savent que, sauf exception, s'installer en EMS signale que l'on a entamé la dernière ligne droite de la vie.

Quelles sont les ressources que les personnes âgées mobilisent pour s'adapter à ce nouvel environnement?

La vie en EMS est généralement perçue de manière négative et suscite bien des peurs chez la plupart des personnes âgées. Et pourtant, lorsque la parole est laissée aux personnes qui viennent d'entrer dans l'un de ces établissements, le tableau se fait plus nuancé. Si certains résidents ont vécu la transition comme un traumatisme dont ils ne se sont pas remis, d'autres témoignages sont décidément plus positifs et leurs auteurs se disent satisfaits du nouveau cadre de vie.
Ce qui m'a frappé, c'est aussi que la plupart des personnes âgées que j'ai rencontré en EMS m'ont dit avoir été à l'origine de la décision d'entrer en institution et avoir piloté les différentes phases de l'opération (du choix de l'établissement, en passant par l'inscription sur une liste d'attente, jusqu'à la signature du contrat d'accueil), ce qui contraste avec l'expérience vécue par les professionnels. En fait, réinterpréter ce qui s'est passé, dire que l'on a choisi l'EMS, alors que souvent on a plutôt subi la décision, est une manière de se réapproprier sa vie et fait partie d'une stratégie qui favorise l'adaptation au changement. Rester maître de sa vie – ou du moins en avoir l'illusion – sert à mieux accepter la perte du chez-soi.

Comment se portent aujourd'hui les personnes en EMS?

Mon étude ne décrit pas les caractéristiques des personnes en EMS (perspective transversale) mais étudie les trajectoires de ceux qui y entrent (perspective longitudinale). Mais on peut dire que de nos jours, il est rare que des personnes âgées indépendantes soient amenées à s'installer en EMS. Les nouveaux résidents sont essentiellement des personnes qui ont suivi une trajectoire de santé caractérisée soit par le déclin, soit par la dépendance ou une fragilité chronique.
Dans leurs témoignages, presque tous les résidents déclarent avoir été obligés de quitter leur chez-soi: «Je ne pouvais plus vivre seul/e à la maison» est le leitmotiv. Mais, contrairement à ce que nous pourrions penser, ces personnes n'ont pas été confrontées à la perte de leur conjoint (ou d'un autre cohabitant) dans les mois précédant l'installation en EMS; souvent, elles vivaient seules depuis de nombreuses années. Si l'on ne peut plus continuer à vivre seul, c'est surtout à cause de l'accumulation des accidents de santé et des handicaps, du besoin de soins continus, des angoisses et du sentiment de solitude, facteurs qui souvent se combinent.
L'entrée en EMS est souvent précédée par une détérioration significative de l'état de santé. Ceux qui survivent lors de la première année en institution connaissent une stabilisation de leur état de santé, voir même une diminution du risque de chute ou d'être hospitalisé. De même, le déménagement est accompagné d'une intensification des visites de la famille, contacts qui ne diminuent pas avec le temps.
Enfin, nous observons une stabilité d'ensemble du bien-être, que ce soit dans la période de l'installation en EMS ou plus tard. De nos jours, à Genève et en Valais central, les EMS ne se présentent pas comme des lieux de vie au climat délétère, engendrant une tendance dépressive, la perte de l'estime de soi et l'apathie chez les nouveaux résidents. Si certaines personnes hébergées en institution n'ont pas le moral, cela résulte essentiellement de leur fragilisation avancée, et il en va de même pour leurs contemporains qui continuent à vivre chez eux.

Qu’est-ce qui a changé en 30 ans?

Dans les années 1970-80, les maisons de retraite s'offraient comme des lieux de vie dans lesquels, l'âge venant, on s'installait avant même que la santé ne l'impose; de nombreux pensionnaires étaient valides ou conservaient une relative autonomie. Durant les dernières décennies, sous l'impulsion d'une politique visant le maintien à domicile de la personne âgée le plus longtemps possible, l'entrée en institution a pu être retardée. Les besoins des résidents, de plus en plus âgés et lourdement dépendants, se sont modifiés à grande vitesse et le rôle même des institutions a dû être redéfini. Aujourd'hui, les EMS se voient investis d'un double mandat: d'un côté, être un lieu de vie pour des personnes très âgées souffrant d'atteintes physiques et/ou psychiques qui affectent lourdement leur autonomie; de l'autre, le jour venu, accompagner les résidents vers la mort.

http://www.georg.ch/index.php/trajectoires-de-vie-dans-la-grande-vieille...